La Presqu’île : des projets d’aménagements devenus incertains
par Jean-Marc Fournier et Patrice Caro

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Les zones de contact entre l’eau et la ville font l’objet d’un engouement important à l’échelle mondiale. Appelés fronts d’eau, ces espaces sont à forts enjeux économiques, culturels, sociaux et symboliques. De ce point de vue, Caen possède un atout indéniable puisque deux voies d’eau, le canal et l’Orne, relient le centre-ville à la mer, délimitant ainsi ce que l’on appelle la Presqu’île. Au cours des décennies à venir, environ 300 ha de friches industrielles sont susceptibles d’être urbanisés pour un potentiel de milliers de logements : une aubaine historique pour transformer la ville et faire face à la crise du logement. Mais les perspectives du changement climatique questionnent ces aménagements et sont sources d’incertitude depuis 2023.
Des friches industrielles convoitées
1En un siècle, le paysage de la partie de la Presqu’île la plus proche du centre-ville a été bouleversé. La centaine d’ouvriers qui déchargeaient du bois de Scandinavie, du charbon ou encore du ciment de bateaux à vapeur provenant du Havre ont laissé la place à la bibliothèque Alexis de Tocqueville, à l’architecture futuriste et au style épuré. Inaugurée en 2017, elle a été conçue par un architecte de renommée mondiale (Rem Koolhaas), pour un coût de 63 millions d’euros (soit 6 000 euros du m2). Quelques années plus tôt, l’agence internationale MVRDV élaborait le plan d’aménagement général intitulé La Grande Mosaïque (plan guide pour société publique locale d’aménagement). Hangars, entrepôts et infrastructures industrielles ont été remplacés par des espaces publics imaginés par Michel Desvigne, paysagiste bien connu en France. Le projet avance une sorte de retour de la nature en ville. L’ancienne gare maritime a été reconvertie (Le Pavillon) en lieu d’information et d’échanges sur l’architecture, l’urbanisme, le paysage et les projets urbains pour toute l’agglomération en particulier. Face à ces projets d’urbanistes, des citoyens, comme par exemple l’association Démosthène, ont cherché à préserver la mémoire des lieux disparus en organisant des débats publics.
2Les friches industrielles et les espaces à l’abandon sont ici anciens. Dès 1976, le schéma directeur d'aménagement urbain de l’agglomération caennaise indiquait que ce lieu était propice à une extension du centre-ville. Puis en 1993, un projet de réaménagement complet a même été conçu par l'architecte Pierre Riboulet. Il n’a jamais vu le jour. Cette urbanisation tardive s’explique par différents facteurs : un coût d’urbanisation élevé en raison des travaux nécessaires pour éviter les inondations, des investisseurs peu nombreux face à une demande limitée pour des logements de luxe en centre-ville et, jusqu’au début des années 2000, l’absence de volonté politique forte pour transformer cet espace. Mais depuis vingt ans, le contexte a changé et le modèle d’une ville dense a été progressivement adopté. La pointe ouest de la Presqu’île, à proximité immédiate du centre-ville reconstruit, est stratégiquement située entre l’abbaye aux Dames et la gare ferroviaire. Son évolution pourrait amener à moderniser les immeubles de la Reconstruction tout proches qui ne sont pas encore perçus comme un véritable patrimoine.
https://atlas-social-de-caen.fr/html/p109/index.htmlCrédits : Fournier J-M., Legentil U.
Figure 1 : La Presqu’île : de l'engouement aux incertitudes ?
Cette carte désigne les zones qui, en 2100, pourraient être l’objet d’un risque de submersion marine, selon le scénario RCP 8.5 du GIEC. Les données ici utilisées sont des données ouvertes, publiques et accessibles à tous (open data), publiées en 2022 dans l’Atlas régional des zones sous le niveau marin (ZNM) par la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie (DREAL). Sur cette carte, le vert représente les espaces qui seraient situés, en 2100, entre 0 et 1 mètre au-dessus du niveau marin de référence (NGF). Le bleu foncé désigne les zones basses situées à plus de 1 mètre sous le niveau marin. Et en bleu intermédiaire, les espaces situés sous le niveau marin, entre 0 et -1 mètre. Ces projections sont des hypothèses d’évolution. Elles ne sont valables qu’en l’état des connaissances actuelles, et ne tiennent pas compte de travaux d’aménagement futurs pour lutter contre ces risques. Cette cartographie a pour objectif de pouvoir tenir compte de contraintes dans les études prospectives d’aménagement des territoires, sur le long et très long terme. Par ailleurs, la DREAL cartographie pour la Normandie huit Territoires à risque important d’inondation (TRI), dont le TRI de Caen qui compte 14 communes. Un TRI est un espace où se concentrent fortement des enjeux exposés aux inondations, qu’elles proviennent de submersions marines, de débordements de cours d’eau ou de toute autre origine.
La Presqu’île pour attirer des activités métropolitaines
3La requalification de la Presqu’île vise aussi à affirmer l’émergence d’un territoire métropolitain, c’est-à-dire accessible facilement (gare Sncf, aéroport, transports en commun rapides et efficaces), dynamisé par des activités de recherche en lien avec des activités tertiaires innovantes et industrielles de pointe, de services aux entreprises élaborés ainsi que d’une offre culturelle de haut niveau (créations théâtrales et musicales, festivals, opéra, etc.). Il s’agit d’attirer des populations hautement diplômées et qualifiées (emplois métropolitains supérieurs) et susceptibles d’entraîner de nombreuses activités économiques, dans un contexte de concurrence exacerbée entre villes. La recherche architecturale est l’expression visible de cette intention. Une métropole se distingue par des masses critiques en matière d’activités de recherche (doctorats et brevets), d’offre culturelle (un opéra de plein exercice) et d’offre de transport aérien (un aéroport à fort trafic et aux lignes longues distances). Si Caen ne correspond pas à ce modèle, ses fonctions métropolitaines étant incomplètes, les décideurs s’en inspirent pour mener les opérations d’aménagement.
4Le réaménagement de la Presqu’île est donc une opportunité unique pour répondre au besoin de densification, limiter l’étalement urbain mais aussi pour redynamiser le centre-ville reconstruit. L’enjeu est également d’attirer de nouveaux habitants pour hisser Caen à un statut de ville dynamique et attractive, sur le modèle d’une métropole.
A- Bateau stocké à terre et bateau amarré proche de la Chaussée d'Alger

En arrière-plan les nouveaux quartiers des bords du canal de l'Orne.
B- Friche industrielle entre la Pointe Presqu'île et l'avenue de l'Orne

A l’arrière-plan, à gauche, la Minoterie Axiane, et à droite, l'Abbaye aux Dames qui surplombe.
Crédits : images A, B, C, E : Fournier J.-M. ; image D : Bailly G. et Charpentier S., ESO Le Mans
5L’aménagement de la Presqu’île, dont le premier bâtiment d’ampleur, le Cargö (salle des musiques actuelles) a été construit en 2007, connaît aujourd’hui un avenir incertain. En effet, en 2023, le Maire de Caen et Président de Caen la mer, a stoppé temporairement le processus d’urbanisation de la ZAC appelée « Nouveau bassin ». Les projections du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) ont évolué, et les projections du Giec normand sont désormais plus défavorables que prévu concernant la montée des eaux dans la Presqu’île. On observe ici les décalages dans le temps, classiques pour de nombreux projets d’aménagement, entre la production des données scientifiques, ou de leur prise en compte effective, les projets de long terme des aménageurs et investisseurs, et les décisions politiques. L’aménagement de la Presqu’île reprendra, sous une forme ou une autre, mais en tenant compte de cette nouvelle réalité.
Pour citer ce document
Jean-Marc Fournier et Patrice Caro, 2025 : « La Presqu’île : des projets d’aménagements devenus incertains », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 07/01/2025, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1297, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1297.
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Jean-Marc Fournier

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