1Un atlas est classiquement un regroupement de cartes commentées qui a pour but d’expliquer le fonctionnement du monde, d’un pays, d’une région ou encore d’une ville. L’atlas social de Caen répond à cet objectif : comprendre les mécanismes qui organisent et vont évoluer la société caennaise. Un atlas repère des zones, délimite des contours, identifie des frontières. Il découpe les lieux, pointe les zones à forts enjeux et met en évidence des espaces économiques, sociaux, politiques, culturels, etc. Un atlas découpe également la société : selon les groupes sociaux, les générations, les habitudes, il révèle des espaces de vie, des espaces vécus qui peuvent être communs ou séparés. Pour identifier ces territoires1, il faut multiplier les sources d’information et les angles d’approche : recouper les statistiques, faire des diagnostics, effectuer des repérages sur le terrain, s’entretenir avec les habitants, sentir l’ambiance des quartiers, observer minutieusement ce qui s’y passe. Ensuite, la cartographie systématique de tout ce qui peut être localisé conduit à faire des interprétations. C’est le travail des géographes par excellence. Dans une démarche scientifique, il convient également de vérifier plusieurs fois la qualité des informations produites : rien ne doit être laissé au hasard.
2L’objectif d’un atlas consiste également à comprendre les changements et les mutations. Comment c’était avant ? Pourquoi cela a-t-il évolué dans un sens et pas dans un autre ? L’agglomération urbaine caennaise est-elle conforme aux évolutions des villes françaises de même taille ou suit-elle une trajectoire différente ? L’atlas social de Caen vise à comprendre une région urbaine qui s’étend jusqu’à une quarantaine de kilomètres de rayon autour de la ville centre. On cherche à analyser l’évolution d’une société urbaine et périurbaine, entre spécificités locales et caractéristiques plus globales liées au reste de la société française, à l’intégration européenne et à la mondialisation.
3A l’origine de notre projet, de nombreuses questions ont surgi. Pourquoi un atlas social ? Notre laboratoire Espaces et Sociétés (ESO-Caen) appartient à une Unité Mixte de Recherche (UMR 6590) du Centre National de la Recherche (CNRS) qui est spécialisée en géographie sociale, c’est-à-dire qu’elle privilégie les questions de société comme objet d’étude. On étudie les mécanismes de production et de reproduction des inégalités sociales, les rapports de pouvoir entre groupes sociaux, la marginalité, les formes d’exclusion, etc. Bien sûr, cette approche n’exclut pas les questions démographiques, économiques, environnementales, politiques, culturelles ou institutionnelles, elle les articule. Il ne s’agit donc pas de faire un « atlas des minorités », mais il ne s’agit pas non plus de faire un atlas d’aménagement et d’urbanisme déconnecté des réalités sociales. Cet atlas présente ainsi une mosaïque de points de vue, toutefois rassemblés dans une même perspective d’interprétation globale de la société caennaise, société marquée par des permanences et des mutations dans ses rapports à l’espace.
Caen sous la loupe des géographes
4Les géographes caennais produisent des études et des atlas concernant Caen depuis les années 1960. En 60 ans, de très nombreux rapports de recherche, articles scientifiques, ouvrages, chapitres de livres mais aussi des mémoires d’étudiants, des thèses de doctorat, etc., ont été écrits. Dans cette masse d’information, souvent ignorée du grand public, quelques publications majeures servent encore de référence pour analyser les mutations actuelles.
5L’Atlas de Normandie2 de 1970 propose un travail de cartographie fine de Caen jamais réalisé avant. Quelques années plus tard, les travaux sur l’espace vécu des Caennais3 livrent une analyse inédite des représentations que les habitants se font des lieux et de leurs espaces de vie, montrant des différences importantes entre classes et groupes sociaux. Ces deux publications sont complétées par un panorama complet de l’agglomération caennaise, publié en 19774. Puis entre 1987 et 1994, quatre atlas sociaux5 de Basse-Normandie, comportant des cartes spécifiquement consacrées à Caen, sont publiés. Les thèmes abordés sont très variés : démographie, comportements religieux, comportements politiques, éducation (retard scolaire, inégalités, types de collèges, lycées, enseignement supérieur, etc.), industrie (salariés de l’agroalimentaire, automobile, chimie, textile, ameublement, imprimerie, etc.), catégories socio-professionnelles et bassins d’emploi, chômage, santé (soins de proximité, causes de mortalité, enfance handicapée, etc.), logement social, tourisme, revenus, culture, patrimoine, etc.
6Par la suite, deux ouvrages paraissent en 1994 et 20026, qui poursuivent les analyses des géographes caennais sur leur ville. A cette époque, l’agglomération caennaise comprend la ville de Caen mais aussi, et surtout, la population majoritaire des communes périphériques qui font partie du même ensemble urbain. Les études des géographes intègrent souvent toutes les communes et villes qui gravitent autour de Caen : jusqu’à Bayeux à l’Est, Falaise au Sud, Lisieux à l’Est sans oublier les communes du littoral. De nombreux habitants de ces lieux, parfois éloignés, se rendent régulièrement à Caen : pour travailler, faire des études, réaliser des achats, se faire soigner, participer à la vie de leur association, manifester ou encore pour assister à un match de football ou un concert. Caen polarise ainsi le département du Calvados ainsi qu’une grande partie de la Manche et de l’Orne. Des publications récentes le démontrent. Entre 2014 et 2018, quinze géographes normands ont publié neuf fascicules sur la Normandie. Ils s’interrogent sur la possibilité de l’existence d’une future métropole normande rassemblant Caen, Rouen et Le Havre7.
Caen : agglomération ou métropole ?
7Si elle existe, la métropole de Caen apparaît d’abord sur le papier. Dans les années 2000, sont créées en France des communautés d’agglomération puis des communautés urbaines. Des agences et instituts d’urbanisme apparaissent ou prennent de l’importance, contribuant à faire émerger une nouvelle échelle politique et administrative dans l’aménagement des territoires. En 2014, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (loi MAPTAM) suscite la création de nouvelles intercommunalités aux compétences renforcées : les métropoles. Aujourd’hui, les 22 métropoles existant en France incluent Rouen pour la Normandie, mais pas Le Havre, ni Caen, Alençon, Cherbourg ou Evreux. Caen n’est donc pas une « métropole MAPTAM ». Pour le législateur comme pour certains aménageurs (DATAR-CGET) relevant du plan national, l’exclusion de Caen du groupe des métropoles n’est pas nouvelle. Des rapports de la DATAR8 (1989 et 2003) visant à établir des typologies de métropoles européennes excluaient déjà Caen.
8Peut-on dire pour autant qu’il existe une métropole caennaise ? Une métropole fait le plus souvent référence à un ensemble urbain d’importance nationale ou internationale qui exerce des fonctions dites supérieures dans les domaines économiques, financiers mais également politiques, culturels ou de la recherche. Ces fonctions influencent les activités industrielles et tertiaires qui rayonnent et ont des effets d’entraînement régionaux. Une métropole compte, par exemple, un aéroport connecté et dynamique, des investissements financiers soutenant la créativité industrielle, des centres de recherche et de développement, des doctorats délivrés dans toutes les disciplines scientifiques, des sièges de revues scientifiques et techniques, des évènements culturels d’envergure attirant un public lointain (échelles continentale et mondiale), un ou plusieurs opéras, des musées, des sièges de journaux, de radios et de télévisions, etc. Ces atouts supposent et génèrent la concentration d’un nombre conséquent d’emplois hautement qualifiés. Caen peut-elle aujourd’hui prétendre à un tel statut ? Les auteurs de cet atlas donnent des éléments de réponse contrastés, ce qui explique la forme interrogative du sous-titre.
9Les atlas sont les outils incontournables des géographes depuis les origines de la discipline : une carte bien conçue vaut un long discours. Aujourd’hui, ils sont plus que jamais pertinents pour saisir les hiérarchies d’une société, les mécanismes qui les produisent et la complexité de ses espaces. Dans un monde où les informations jaillissent de toutes parts, où la multiplication des points de vue peut amener plus de confusion que de clarté, où le vrai se mélange parfois au faux, il est plus que jamais nécessaire de publier des atlas : des synthèses dégageant des repères de compréhension accessibles au plus grand nombre. L’atlas social de Caen se veut porteur d’une telle ambition.
Notes
1 On entend ici par territoire une construction sociale qui n’est jamais figée et qui évolue en permanence en fonction du contexte économique, social, historique, politique, culturel, etc. Un territoire ne correspond pas à un découpage administratif donné mais résulte de processus de territorialisation liés à l’appropriation de l’espace tout comme à l’identité collective.
2 Journaux, André, dir., 1970, Atlas de Normandie, Institut de géographie, Université de Caen.
3 Frémont, Armand, 1978, Espace et cadre de vie : l'espace vécu des Caennais, Centre d'études régionales et d'aménagement, Université de Caen, 215 p. Frémont, Armand, Flabbee, Liliane, 1981, Ouvriers et ouvrières à Caen, Centre national de la recherche scientifique, Université de Caen, 133 p.
4 Département de géographie, 1977, Caen et son agglomération, Université de Caen, La Documentation Française, 100 p.
5 Hérin, Robert, et al.,1987, Atlas social de Basse-Normandie, fascicule 1, 153 p. Fascicule 2 (1988), fascicule 3 (1990) et fascicule 4 (1994).
6 Poussard, Anne, dir., 1994, Caen, parcours dans l’agglomération, CERA, URA 915 CNRS, Editions Paradigme, 296 p. Madeline Philippe, dir., 2002, L’agglomération de Caen, Parcours géographiques, Cahiers de la MRSH, numéro spécial, 183 p.
7 http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/metropoleAinventer.
8 Roger Brunet, 1989, Les villes européennes, Editions RECLUS-DATAR. Rozenblat C., Cicille P., 2003, Les villes européennes, Analyse comparative, DATAR, Maison de la géographie de Montpellier, Paris, La Documentation Française.