L’îlot de chaleur urbain à Caen : un phénomène d'intensité et de répartition géographique très variables, sous la dépendance des types de temps
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L’apparition d’un « îlot de chaleur urbain » (ICU) est la manifestation la plus concrète de la présence et des activités d’une ville sur le climat local. Ses caractéristiques d’intensité, de durée, de fréquence, de rythme, de forme et d’extension reflètent les particularités de chaque ville, particulièrement son cadre physique, la densité de son bâti et la nature de ses matériaux de construction, sous la dépendance préalable de « types de temps » favorables à sa formation (conditions claires et calmes). De ce fait, chaque agglomération possède sa propre « identité thermique », variable dans le temps et dans l’espace.
1Aujourd’hui, et plus encore dans le futur avec le réchauffement global et la croissance urbaine, le renforcement du phénomène d’ICU nécessite de développer des programmes d’aménagement privilégiant des formes de bâti plus écologiques et intégrant davantage d’espaces « naturels » (plans d’eau, parcs). Ces nouveaux projets contribuent à limiter le phénomène d’ICU grâce à la restitution d’humidité dans l’air asséché des villes (rôle de l’évapotranspiration dans la création d’îlots de fraîcheur urbains, IFU) mais aussi à rendre la vie des citadins plus agréable, notamment en filtrant la pollution de l’air, de l’eau, et celle occasionnée par le bruit.
2L’adaptation des villes au changement climatique passe par la maîtrise de l’Îlot de Chaleur Urbain. La mise en œuvre de moyens d’atténuation suppose au préalable la connaissance précise d’un phénomène. Partant de ces constats, après quelques études préliminaires sur Caen, il a été décidé en 2021 de procéder à une étude exploratoire plus exhaustive sur le phénomène d’Îlot de Chaleur Urbain en demandant à l’Université de Caen Normandie et à la Région Normandie un soutien pour équiper la ville de 8 stations de mesures automatiques MeteoHelix et MeteoWind. En 2024, l’étude va se développer avec l’acquisition d’une vingtaine de stations supplémentaires financées par la Ville de Caen, Caen la mer et l’ADEME.
Un réseau de mesure de la température en ville
3Actuellement le réseau est composé de 16 stations, réparties du centre ville dense (Place Bouchard, Tour Leroy, Ilot Saint-Jean) à la périphérie de l’agglomération représentative de l’espace non affecté par la ville (rue du Québec au sud, le long du Canal au Nord). L’espace urbain est également représenté par des sites « verts » de tailles et de compositions végétales différentes (Prairie, Jardin des Plantes, Campus 1, Place de la Résistance, Cimetières dormants Saint-Pierre et Saint-Jean) et de sites « bleus » (Pont Winston Churchill).
Crédits : Cantat O.
Figure 1 : Le réseau actuel des stations
(exemple des températures le 13 avril 2024 à minuit UTC).
4Grâce à la Ville de Caen et à Caen la Mer, il est prévu d’étoffer prochainement ce réseau pour avoir une vision plus large et plus complète des singularités de la ville dans son contexte climatique régional, donné par les relevés de la station Météo-France de référence de Caen-Carpiquet, environ 7 km à l’Ouest de la ville.
Figure 2 : Un exemple de station MeteoHelix sur le campus 1 de l’Université de Caen.
Crédits : Cantat O.
Les contraintes métrologiques et méthodologiques étaient de disposer d’un réseau fiable, totalement autonome et représentatif de la diversité urbaine. Le matériel Barani a été choisi pour ses performances et sa simplicité de mise en œuvre : il s’agit de stations automatiques MeteoHelix - avec abri hélicoïdal pour éliminer les effets radiatifs - et d’anémomètres-girouettes MeteoWind, avec transmission des données toutes les 10 mn via le réseau Sigfox. Les sites instrumentés ont été choisis à partir de notre connaissance fine du terrain d’étude.
L’îlot de chaleur urbain : une réalité à Caen
5Les deux premières années de mesures ont mis clairement en évidence la présence d’un ICU sur la ville de Caen avec un écart moyen de l’ordre de 0,8°C, masquant des différences beaucoup plus importantes quand les conditions météorologiques sont propices à l’expression des facteurs géographiques locaux sur les basses couches de l’atmosphère (temps clair et calme). Par ce type de temps, des écarts de 3 à 4°C sont alors fréquents, voire jusqu’à plus de 5 à 6°C, et en toute saison, même si l’occurrence est naturellement plus élevée en été avec davantage de longs épisodes anticycloniques, a contrario de l’hiver et de ses circulations perturbées fréquentes et durables propres au climat des latitudes moyennes océanisées.
Figure 3 : Écarts de températures de l’air sous abri entre le centre-ville et la Prairie, enregistrées toutes les 10 minutes sur la période du 11 avril 2022 au 7 juillet 2024.
Crédits : Cantat O.
[note de lecture] dans la nuit du 18 au 19 juillet 2022, l’écart maximum de température entre le centre-ville et la Prairie a atteint plus de 6°C.
6Les données au pas de temps de 10 minutes permettent de voir le rythme très net, sur 24 heures, de cet îlot de chaleur urbain, avec une présence affirmée de nuit et un effacement de jour, en accord avec les mécanismes physiques qui régissent les températures en ville. Par temps clair, de jour, on observe une accumulation de chaleur solaire dans les matériaux urbains et sa lente restitution qui se prolonge durant la nuit, alors que sur la campagne l’énergie solaire n’affecte qu’une faible épaisseur du sol. De ce fait, l’échauffement est rapide et les températures deviennent comparables dans la journée sur la ville et la campagne, mais l’absence de réserve de chaleur explique la chute rapide et prononcée de la température en dehors du milieu urbain après le coucher du soleil.
Figure 4 : Exemple du rôle de la saison et des types de temps
en juillet 2022 et février 2024 à Caen.
Crédits : Cantat O.
Des écarts de température et des ICU variables selon la saison et les types de temps dominants entre la Prairie et les espaces du centre-ville dense.
L’îlot de chaleur urbain : un risque sanitaire majeur en période de canicule
7Lors de l’épisode chaud exceptionnel de l’été 2022 (record absolu de chaleur à la station Météo-France de Caen-Carpiquet avec 40,1°C), le réseau urbain de mesures a pu mettre en évidence, de nuit, des contrastes remarquables à de faibles distances sur la ville de Caen. Ainsi durant la « nuit tropicale » du 19 juillet 2022, les températures, de 25 à 27°C sur le centre-ville, sont restées très au-dessus du seuil de récupération physiologique (≈ 23°C), alors que la Prairie et le Jardin des Plantes enregistraient des valeurs voisines de 20°C. Cet exemple illustre les conséquences sanitaires possibles sur la morbidité et la mortalité dues à l’inconfort thermique et éclaire donc en amont sur l’importance de la nature en ville dans la lutte contre les ICU.
Figure 5 : Très fort Îlot de Chaleur Urbain à Caen dans la nuit du 18 au 19 juillet 2022,
par temps clair et calme en période caniculaire.
Crédits : Cantat O.
Lorsque de nuit, la température ne descend pas en-dessous de 23°C, l’organisme humain récupère difficilement de la fatigue induite par le stress thermique en journée (avec effet cumulatif au fil des journées caniculaires aggravant les conséquences sanitaires).
Des fluctuations rapides des îlots de chaleur urbain dans le temps et dans l’espace
8Par temps clair et peu venteux, l’exemple de la Place Foch met systématiquement en évidence des variations nocturnes parfois très rapides de la température sur la périphérie de l’espace urbain, sous la dépendance des advections possibles d’air plus frais en provenance de la Prairie et de la campagne.
Crédits : Cantat O.
Figure 6 : Refroidissement nocturne brutal sur la Place Foch versus force et direction du vent sur la Prairie durant la nuit du 21 au 22 juillet 2022.
Durant la nuit du 22 juillet 2022, la température de la Place Foch reproduit fidèlement celle du centre-ville jusqu’à 2 heures du matin, puis chute brutalement au niveau de celle enregistrée sur la Prairie. Cette évolution est en accord avec les indications de vent sur la Prairie montrant une bascule de direction à partir de minuit. Deux heures plus tard, à la faveur de la brise de campagne, l’air frais formé sur la Prairie pénètre en ville, jusqu’à la reprise d’un vent d’est soutenu à 4 heures du matin qui homogénéise la masse d’air et disperse les effets géographiques locaux à l’interface sol/air.
9A une échelle plus fine, les configurations géographiques locales peuvent amplifier les écarts de température entre la ville et la campagne, différences vues jusqu’à présent dans les conditions normalisées de la climatologie, c’est-à-dire sur des sites dégagés où l’air circule librement. Mais qu’en est-il dans les espaces plus confinés qui sont des espaces vécus ?
Crédits : Cantat O.
Figure 7 : Température de l’air entre le 22 et le 23 juin 2024 sur l’agglomération caennaise, lors de conditions favorables à la formation d’un ICU.
10De jour, en été et par temps clair, on peut observer le développement de micro-ICU dans les cours intérieures des îlots de la Reconstruction. La station de « l’Îlot Saint-Jean » témoigne du phénomène, en raison d’un soleil suffisamment haut sur l’horizon à cette saison pour pénétrer entre les façades. Le confinement de l’air entraine alors une surchauffe de l’ordre de 1 à 2°C sous abri, le ressenti étant même encore plus marqué en raison d’une absence totale de vent. Ces valeurs sont nettement plus chaudes que celles de la station de la « Tour Leroy », à quelques dizaines de mètres seulement mais dans un espace urbain ouvert.
11De nuit, toujours par temps clair et calme, on peut observer que la station de la « rue du Québec » est nettement plus fraîche que celle de notre référence verte de la « Prairie » de Caen, l’écart pouvant atteindre fréquemment 1 à 2°C. Le contexte topographique et la position dans l’agglomération en sont les causes. Le site de la « rue du Québec » bénéficie de son plus grand éloignement de la ville et de sa position en creux qui favorise la convergence par gravité de l’air frais plus dense formé sur les versants qui l’encadrent. Ce fonctionnement de « trou à froid » (TAF), se retrouve dans le Jardin des Plantes en raison de son caractère très végétal et de sa topographie également en creux. Le phénomène ici est cependant moins prononcé car l’espace est plus restreint et en plein cœur de la ville. Il n’en demeure pas moins que ces espaces verts intra-urbains constituent des sources de fraîcheur pouvant profiter aux espaces urbains à proximité immédiate.
12Ces observations confirment le rôle essentiel du degré de confinement et de la topographie locale pour expliquer des différences de températures remarquables sur des sites pourtant très proches (notons que ces critères sont souvent sous-estimés dans les modèles de climat urbain, lissant de ce fait les contrastes possibles).
13En définitive, les données du réseau de mesures météorologiques à échelle fine de l’agglomération caennaise permettent d’apprécier le rôle de la nature en ville et à proximité immédiate, pour voir comment et comprendre pourquoi de l’air frais peut se former de nuit – comme au Jardin des Plantes et sur la Prairie – et pénétrer ensuite dans la ville à la faveur de grandes ouvertures et du jeu entre les brises de ville et de campagne qui s’établissent par temps clair et calme. Depuis quelques années, les politiques d’aménagement de la ville se préoccupent de ces thématiques dont les risques induits sont appelés à augmenter avec le réchauffement climatique et notamment par la multiplication des « nuits tropicales » préjudiciables à la santé, dont la fréquence et l’intensité sont aggravées en milieu urbain dense.
Pour citer ce document
Olivier Cantat, Matthieu David et François Beauvais, 2024 : « L’îlot de chaleur urbain à Caen : un phénomène d'intensité et de répartition géographique très variables, sous la dépendance des types de temps », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 11/09/2024, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1271, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1271.
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Annexes (1)
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