Atlas Social de Caen

De l'agglomération à la métropole ?

La Prairie de Caen, du ruban au confetti

par Jean-Michel Cador

planche publiée le 24 octobre 2024

La Prairie de Caen est un espace vert apprécié des Caennais, tout à la fois siège de l’hippodrome de la ville, poumon vert à l’intérêt ornithologique certain, zones d’expansion des crues de l’Orne, que lieu de pratiques récréatives. Néanmoins, cet espace qui semble figé dans le tissu urbain, n’est que la relique d’un ensemble de prairies humides beaucoup plus vastes, grignotées par la ville depuis des siècles.

D'un ensemble continu de prairies...

1La ville est fondée officiellement il y a mille ans, sur un site à la confluence de l’Orne et de l’Odon, en fond d’estuaire connectant le fleuve à la mer, et sans doute sur un gué praticable une bonne partie de l’année. A cet endroit, au sud du centre historique, du château et de la rue Saint-Pierre, s’ouvrait un large espace dégagé offrant de belles prairies. Cet espace s’inscrit plus largement dans un ensemble continu de prairies humides, s’étendant de la confluence des rivières Orne et Odon, jusqu’à l’estuaire. On passe progressivement d’amont en aval, de prairies humides, marécageuses, à des vasières au caractère maritime de plus en plus marqué. C’est l’Île Saint-Jean qui marque en quelque sorte, la limite entre les milieux fluvial et fluvio-marin.

Figure 1 : Un ensemble continu de prairies et vasières, de la confluence de l’Orne et de l’Odon, jusqu’à l’estuaire.

Image

Crédits : Cador J.-M.

... aux premières atteintes de l'urbanisation

2À partir de la fondation de la ville, l’Île Saint-Jean s’urbanise et les prairies qui s’y trouvaient disparaissent, séparant définitivement les prés d’amont des prairies d’aval. Ces dernières vont suivre une trajectoire différente, plus classique, se construisant progressivement avant de disparaître avec les rectifications de tracés de l’Orne au 17e siècle, puis la construction du Canal de Caen à la mer et des infrastructures portuaires au 19e siècle. Les prairies d’amont seront « la chose du Duc » (de Normandie) et pourvoiront la cavalerie en foin pendant des siècles, sous la protection d’un régime juridique particulier, dit « des secondes herbes ». Ce statut original et l’usage agricole continu des prés de Caen, Louvigny et Venoix vont préserver la Prairie de son assèchement, voire de l’urbanisation.

3Dès le début du 16e siècle, la pointe de la Prairie qui pénètre dans la ville presque jusqu’au pied de l’église Saint-Pierre, est l’objet d’aménagements : il s’agit de protéger des attaques anglaises, le ventre mou de la ville en établissant une bien modeste fortification, faite d’une simple levée de terre qui sera renforcée au siècle suivant. L’espace des Petits Prez et les Grands Prez désormais intra muros suscite les convoitises et dès 1620, ils sont assainis et livrés à la pression immobilière de la ville qui se densifie. Cet espace devient Place de la Chaussée, puis Place Royale prolongée par la rue des Petits Prés, connue aujourd’hui comme Place de la République. À la fin du même siècle et en compensation de la perte de ces espaces verts d’agrément, les parties au sud-est et à l’est de la Prairie, sont aménagées en cours longés de platanes (Cours-la-Reine devenu cours Ch. De Gaulle et cours de l’Orne devenu cours Bir Hakeim). La première version de la carte de Gomboust (ingénieur-topographe du Roi au 17e siècle) qui met à jour celle du cartographe Belleforest (1575), était centrée sur la ville dans ses remparts, est recadrée à sa publication en 1672 par le graveur F. Bignon, en intégrant la Prairie qui quitte ainsi l’espace rural, pour intégrer l’espace urbain.

Figure 2 : Les premières conquêtes urbaines sur la Prairie, au 17e siècle.

Image

Crédits : Cador J.-M.

Extraits des cartes BNF, via Gallica.

Figure 3 : Urbanisation de l’Île Saint-Jean au Moyen-Âge et des Petits et Grands Prés au 17e siècle.

Image

Crédits : Cador J.-M.

Les premières atteintes à l’intégrité des prairies d’amont et d’aval.

Les grandes modifications du 19e et 20e siècles

4Ces premières atteintes à l’intégrité de la Prairie restent limitées. Les grandes modifications de périmètre et de physionomie vont surtout survenir à partir du milieu du 19e siècle. La pression démographique oblige la ville à sortir de ses murs et à lorgner sur la Prairie. La perte progressive des usages agricoles classiques est aussi amorcée : au pâturage ou fauchage, se substituent d’autres fonctions. L’hippodrome s’implante en 1838 au cœur même de la Prairie, tandis que peu après 1850, les voies ferrées dessinent un carrefour en patte d’oie de Caen vers Cherbourg, la côte ou le sud, qui scindent les anciens prés de Caen, Louvigny et Venoix de manière irrémédiable.

5À la fin du 19e et au début du 20e siècle, on construit depuis la Promenade du Fort au nord-est et, au mépris des us jusque-là admis : on implante sur les prés d’Aulne, au nord-ouest, une décharge municipale accueillant les gravats des particuliers et des entreprises, dans le seul but de remblayer ces terrains humides. Le front urbain s’étend des remparts, vers la Prairie, guidé par l’Avenue Sorel, qui ne la rejoindra qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

6Avec les années, la Prairie se retrouve ainsi encerclée, gagnée par le bâti depuis les anciens remparts, bordée des murs des grands cours à l’est, coupée des prairies de Louvigny par les imposantes voies ferrées. Désignée pendant des siècles comme Grandes Prairies, elle devient La Prairie de Caen à partir du dernier tiers du 19e siècle, puis simplement la Prairie, quand elle n’est pas simplement limitée à l’hippodrome.

Figure 4 : La Prairie, un espace relique, morcelé, enchâssé dans la ville et ses voies de communication.

Image

Crédits : Cador J.-M.

Pour citer ce document

Jean-Michel Cador, 2024 : « La Prairie de Caen, du ruban au confetti », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 24/10/2024, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1290, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1290.

Autres planches in : Environnements urbains

Carte : Olivier Cantat.

L’îlot de chaleur urbain à Caen : un phénomène d'intensité et de répartition géographique très variables, sous la dépendance des types de temps

par Olivier Cantat, Matthieu David et François Beauvais

Voirla planche intégrale 

Bibliographie

Faisant E., Fermer Caen sous Henri IV et Louis XIII : les fortifications des Petits Prés. Annales de Normandie, 2018/2, pp.77-107.

Malherbe A., Cadomus, Caen par François Bignon, graveur. Points de Vue, 12p., 2007.

Index géographique

Jean-Michel Cador

Maître de Conférences en Géographie, Université de Caen Normandie, UMR 6266 (IDEES)

Toutes les planches de l'auteur

Les derniers dépôts dans HAL-SHS de Jean-Michel Cador

Jean-Michel Cador

Résumé

La Prairie de Caen est un espace vert apprécié des Caennais, tout à la fois siège de l’hippodrome de la ville, poumon vert à l’intérêt ornithologique certain, zones d’expansion des crues de l’Orne, que lieu de pratiques récréatives. Néanmoins, cet espace qui semble figé dans le tissu urbain, n’est que la relique d’un ensemble de prairies humides beaucoup plus vastes, grignotées par la ville depuis des siècles.

Annexes (1)

Statistiques de visites

Du au

* Visites : "Nombre de visites qui ont inclus cette page (planche) ou nombre de visites uniques. Si une page a été vue plusieurs fois durant la visite elle ne sera comptabilisée qu'une seule fois".
** Total : sur la période sélectionnée.
*** Hits : "Le nombre de fois que le site ou cette page a été visité(e)".