Atlas Social de Caen

De l'agglomération à la métropole ?

Orelsan et Aurélien Cotentin, artiste et entrepreneur : empreintes, ancrages, appropriations géographiques

par Stéphane Valognes et Ugo Legentil

planche publiée le 05 mars 2025

La mise en récit de lieux parcourus, montrés et décrits dans l’œuvre d’Orelsan apparaît comme un facteur, parmi d’autres, expliquant son succès dans l’univers du rap. Orelsan, bien que né loin de la « banlieue », a construit à travers ses clips et chansons des images fortes d’un possible désarroi des enfants des classes moyennes. La trajectoire sociale et artistique d’Orelsan combine des ancrages territoriaux et des espaces vécus de l’agglomération caennaise et de la Normandie. Sublimés dans l’œuvre, ils laissent en retour des empreintes spatiales multiples, visibles à Caen. Ces lieux sont réinterprétés et réinvestis par des fans, des habitants, des touristes et sont désormais intégrés au sein de récits territoriaux par des acteurs privés et publics.

De l’univers du rap à d’autres « mondes de l’art »

1Les street-artistes Stork Pixel Art (10/12/2022), In the woup (30/03/2022), Horss et Solice (23/01/2022) ont réalisé des fresques et des œuvres sur les murs de Caen en lien direct avec les productions du chanteur. L’illustrateur Alcatela, également urbaniste, a réalisé une carte de Caen sur laquelle il empreinte des paroles de chansons d’Orelsan (07/12/23). Cependant, l’œuvre d’Orelsan fait l’objet, à côté de sa trajectoire propre, d’initiatives l’intégrant à d’autres mondes de l’art que celui du rap. En témoignent la rencontre « le phénomène Orelsan » au Conservatoire régional de musique et de danse, lors du salon du livre Epoque à Caen, en mai 2024, qui a réuni photographe, biographes et éditeur d’ouvrages consacrés à l’artiste et à son parcours, ou sa nomination comme chevalier des Arts et des Lettres, par le Ministère de la culture en 2022. L’image d’Orelsan est également reprise par des graphistes, à côté des représentations de street art qui marquent l’espace urbain, par la création d’affiches en édition limitée, telle celle intitulée « L’iconoclaste » affichée en vitrine dans plusieurs magasins du centre-ville de Caen.

Figure 1 : le phénomène Orelsan

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Crédits : Ville de Caen, programme du salon du livre Epoque 2024, page 27.

Débat au Conservatoire et orchestre de Caen, dans le cadre du Salon du livre Epoque, le 26 mai 2024.

Mise en tourisme et adossements économiques

2Depuis 2021, la trajectoire caennaise d’Orelsan, retranscrite à travers ses textes et clips, fait l’objet de circuits touristiques, mettant en valeur des lieux clés de l’œuvre. Ce circuit touristique bénéficie de l’appui d’acteurs institutionnels comme l’Office du tourisme et des congrès de la Communauté urbaine de Caen la mer. Il propose sur son site Internet un parcours guidé en 12 étapes avec carte interactive, photos et commentaires à l’appui, pour comprendre le rapport du rappeur à sa ville. Par certains aspects, le format se rapproche du tourisme culturel et des circuits patrimoniaux ou historiques. Parallèlement, l’entreprise Com’on gyro propose des tours d’1h30 en segway afin de suivre les traces de l’artiste dans la ville, tandis qu’un guide conférencier (Romain Desclos) a lancé une visite de Caen « A la sauce Orelsan », depuis février 2022, proposée par l’Atelier C8C et Normandie Visite. Plusieurs arguments sont avancés par les promoteurs de ces circuits touristiques gratuits ou payants, à savoir : l’opportunité d’aller chercher un public jeune qui entraîne les familles, le relais médiatique des selfies et posts sur les réseaux sociaux, la mise en avant de la scène locale. Enfin, Orelan semble être envisagé par les différents guides comme étant une personnalité amplificatrice, c’est-à-dire capable de capter une nouvelle clientèle de jeunes actifs.

Figure 2 : sur les pas d'Orelsan

https://atlas-social-de-caen.fr/html/p127/index.html

Crédits : Valognes S., Legentil U.

Des points de visite du centre-ville de Caen entre street-art et lieux appropriés par le rappeur.

3Le parcours type incorpore le commerce de kebabs Magic Beau Gosse, mentionné dans la chanson « Du Propre » (Album Civilisation, 2021). Ces formes d’appropriation des productions d’Orelsan par les institutions, dont la Ville de Caen, s’étendent aux sphères récréatives et festives avec la présence du chanteur au carnaval de Caen en 2022 (1er carnaval étudiant d’Europe en nombre de participants), ou encore la reprise sur une banderole de supporters du club de football de Caen « We are Malherbe » d’une partie des paroles de la chanson « La terre est ronde » (album Le Chant des sirènes, 2011), relayée sur les réseaux sociaux le 20 novembre 2021.

De l’étudiant en management à l’entrepreneur en street wear

4Aurélien Cotentin a été étudiant à l’Ecole de Management de Normandie. Si son nom n’est pas mentionné dans les parcours des anciens élèves sur le site Internet de l’école, un article du Figaro étudiant de 2018 le décrit, selon les mots d’alors de la chargée de relation entreprises, comme « pas très motivé » mais « passionné par la musique ». Cela ne l’empêche pas d’obtenir son master marketing vente, après un séjour d’un an à Tampa en Floride (University of South Florida) dans le cadre d’un programme franco-américain, puis après un stage de fin d’études au Mémorial de Caen. Cette formation a sans doute donné à l’artiste des jalons pour créer une entreprise et construire une carrière, des partenariats, comme en témoignent les collaborations prestigieuses, et en partie normandes, de la marque de vêtements franco-suisse Avnier (« avant-dernier »), fondée par Aurélien Cotentin et Sébastien Strappazon en 2014. Cette notoriété a permis à Orelsan d’apparaître en 2023 dans un clip publicitaire de Dior, pour le parfum Gris Dior, tandis que Dior a conçu les costumes de scène de la tournée Civilisation en 2022.

Figure 3 : un artiste mobilisant différentes formes de capitaux

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Crédits : Valognes S. et Legentil U.

L’œuvre du rappeur participe à construire un capital artistique et culturel alimentant sa notoriété d’artiste ancré dans un territoire. L’emblème Orelsan est repris par les acteurs du tourisme local. Le tout nourrit de nouvelles productions qui alimentent elles-mêmes son capital économique. Orelsan n’est plus seulement un chanteur, il devient l’égérie d’un capital à plusieurs branches.

5A noter que les polémiques de 2008 (titre « Sale Pute ») concernaient des paroles qualifiées de misogynes et violentes. De plus, Orelsan a été jugé et condamné par la cour d’appel de Paris, pour provocation à la violence envers les femmes, suite à un concert en 2009, avant d’être finalement relaxé en appel en 2016.

Un chanteur monde ou un artiste territorialisé ?

6Le succès attesté par la vente d’albums, l’ancrage territorial local, les empreintes multiples de l’artiste et de son entourage, lui ont permis d’accumuler sur la longue durée, après les balbutiements artistiques ou de Avnier (documentés dans la série « Montre jamais ça à Personne », 2021) ou moins propices (les polémiques de 2008 et 2009), un capital de notoriété ainsi qu’un capital économique à même d’être investi dans plusieurs activités.

7Orelsan est donc un chanteur territorialisé : la région de Caen est pour lui un territoire tremplin, et plusieurs acteurs locaux utilisent son image (activité économique, culturelle, symbolique). Par là-même, Caen est une scène refuge dans laquelle l’artiste puise son authenticité. Mais Orelsan est aussi un « chanteur monde », au croisement de plusieurs sphères économiques et artistiques, entre local et global. Sa trajectoire artistique et sociale signale, tout à la fois, la singularité géographique d’un parcours de vie, et l’institutionnalisation du rap à plusieurs échelles géographiques.

Pour citer ce document

Stéphane Valognes et Ugo Legentil, 2025 : « Orelsan et Aurélien Cotentin, artiste et entrepreneur : empreintes, ancrages, appropriations géographiques », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 24/02/2025, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1302, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1302.

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Bibliographie

Becker H. (2010) [1982], Les Mondes de l’art, Paris, Flammarion,coll. « Champs art ».

Bourdieu P., 1992, Les règles de l’art genèse et structure du champ littéraire, Pars, Éditions du Seuil.

Guillard S., 2017, "« Getting the city on lock » : imaginaires géographiques et stratégies d’authentification dans le rap en France et aux États-Unis", L’information géographique, volume 81.

Bordas W., 2018, « Quand Orelsan était un étudiant en école de commerce pas très motivé ».Le Figaro étudiant, consulté le 13/12/2024.

Cotentin, C. et Offenstein C., 2021, « Montre jamais ça à personne », Série documentaire, Nolita et 3e œil production, 10 épisodes de 42 minutes.

Mots-clefs

Résumé

La mise en récit de lieux parcourus, montrés et décrits dans l’œuvre d’Orelsan apparaît comme un facteur, parmi d’autres, expliquant son succès dans l’univers du rap. Orelsan, bien que né loin de la « banlieue », a construit à travers ses clips et chansons des images fortes d’un possible désarroi des enfants des classes moyennes. La trajectoire sociale et artistique d’Orelsan combine des ancrages territoriaux et des espaces vécus de l’agglomération caennaise et de la Normandie. Sublimés dans l’œuvre, ils laissent en retour des empreintes spatiales multiples, visibles à Caen. Ces lieux sont réinterprétés et réinvestis par des fans, des habitants, des touristes et sont désormais intégrés au sein de récits territoriaux par des acteurs privés et publics.

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