Atlas Social de Caen

De l'agglomération à la métropole ?

Caen vu par des cartes mentales géographiques d’habitants : une diversité de représentations

par Jean-Marc Fournier

planche publiée le 24 octobre 2024

Table des matières

Une carte mentale géographique est un dessin réalisé librement sur une feuille de papier blanche par une personne pour représenter un lieu donné. Il s’agit d’une carte personnelle, subjective, déformée par rapport à la réalité, qui exprime le ressenti et les liens affectifs tissés avec le territoire. Pour un même lieu, une diversité de cartes mentales existe, en fonction de l’âge des personnes, de leur catégorie sociale, de leur lieu de résidence, de leurs déplacements, de leur imaginaire, etc. A quoi ressemble Caen et son agglomération vues par le prisme des cartes mentales ? Que révèlent les différences entre l’espace réel et l’espace dessiné ?

Une recherche collaborative

1Dans le cadre d’une recherche collaborative au Dôme, centre de culture et de médiation scientifique à Caen, des ateliers rassemblant au total 63 personnes ont été organisés en avril 2023 pour réaliser des cartes mentales de Caen. Dans ce type de recherche, les participants sont associés au protocole scientifique et contribuent eux-mêmes à la collecte de données. Ces participants, habitants de la communauté urbaine de Caen, avaient entre 18 et 59 ans, et étaient d’horizons sociaux divers (étudiants, techniciens, cadres, personnes en recherche d’emploi, retraités, etc.) mais non représentatifs de la structure sociale locale. Il s’agit donc d’une analyse strictement qualitative dont l’objectif est de montrer la diversité des représentations. Si ces personnes habitent sur le même espace, elles ne vivent pas toujours dans les mêmes univers urbains.

2Chaque participant devait d’abord remplir un questionnaire détaillant tous ses lieux connus au cours de la vie (régions, pays, continents), ainsi que tous les lieux du quotidien (logement, travail, études, loisirs, achats, etc.) en prenant une semaine type. Il était également demandé de qualifier ces lieux connus (ressenti plutôt positif, mitigé, neutre ou négatif, etc.) et d’expliquer pourquoi (calme, bruyant, dégradé, soigné, isolé, central, verdoyant, etc.). Des informations complémentaires étaient demandées : adresse, âge, catégorie socio-professionnelle, etc. Puis un temps de 30 minutes était consacré au dessin à main levée de la carte mentale sur une feuille de format A3 totalement vierge. L’atelier comprenait ensuite la présentation de sa carte, à l’ensemble du groupe, par chaque participant, afin de dégager des convergences de représentation tout comme des spécificités. L’analyse qualitative a permis de dégager huit catégories de cartes. Cette méthode reprend les bases de protocoles scientifiques reconnus en géographie pour ce type de recherche. Les participants n’avaient pas pour consigne de chercher à faire un plan de Caen exact, précis ou encore à l’échelle. Bien au contraire, c’est la liberté de représentation, les choix graphiques, les déformations par rapport à la réalité qui sont intéressants à relever.

Figure 1 : une représentation schématique globale et simplifiée.

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Crédits : Fournier J.-M.

Carte mentale de type 1.

3Cette carte monochrome extrêmement simple montre les communes et quartiers importants d’un étudiant qui habite proche du stade de football Michel d’Ornano. Le schéma est sommaire mais une structure globale l’organise, à une échelle relativement large : depuis la mer au nord jusqu’à Ifs au sud. Caen est organisée en trois niveaux de cercles concentriques : 1- le centre, 2- des quartiers et communes péricentraux, 3- trois communes littorales. Des unités spatiales secondaires sont esquissées avec des cercles (exemple : Hérouville-Saint-Clair), tandis que, à une échelle plus fine, les lieux très précis apparaissent sous forme de carrés ou de rectangles bien délimités (exemple : Beauregard). On remarque également que le quartier du Chemin Vert occupe une surface aussi importante qu’une commune à part entière. On repère le château (point de repère associé au centre), la gare Sncf, le campus 2 ou encore l’Iut du campus 3. Proche du domicile, des lieux plus précis sont cartographiés : le stade d’Ornano et la « prison » (le Centre pénitentiaire). Cette personne n’a pas jugé utile d’indiquer plus de détails sur sa carte car elle a une vision globale de l’agglomération.

Figure 2 : un système de vignettes discontinues.

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Crédits : Fournier J.-M.

Carte mentale de type 2.

4Sur cette carte en trois couleurs, la commune de Caen prend une forme ovale avec une frontière qui la sépare de ses communes voisines. En réalité, seules six communes autour de Caen sont mentionnées, contre une quinzaine dans les faits. On oppose clairement l’intérieur et l’extérieur de Caen. Au nord, la vingtaine de communes séparant Caen de la mer sont oubliées puisque seule la commune de Ouistreham est signalée. Etrangement, l’hippodrome et la Prairie sont deux lieux distincts alors qu’il ne s’agit que d’un seul et même lieu. De plus, ce lieu est localisé au sud et sud-est, alors qu’il est en réalité à l’ouest du centre-ville. Le château, le campus 1, le Zénith, le Mémorial, l’abbaye aux Dames, le port, la Presqu’île et les Rives de l’Orne sont des lieux importants. Les lieux sont représentés comme sur un plan conventionnel, avec leurs noms dans des vignettes, mais sans lien entre eux, déconnectés les uns des autres. Le territoire est ainsi relativement discontinu. Les espaces en vert sont des lieux régulièrement fréquentés et ceux en orange sont plutôt des repères. Le lieu de travail (Place Gardin) a été omis, ce qui n’est sans doute pas anodin.

Figure 3 : le tableau artistique.

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Crédits : Fournier J.-M.

Carte mentale de type 3.

5Cette carte multicolore très personnelle se présente sous la forme d’un ensemble de symboles de couleurs vives, reliés entre eux par des traits ondulants gris-verts, qui pourraient s’apparenter à des cours d’eau, mais qui représentent dans les faits des axes de circulation. Aucun nom de lieu n’est indiqué. Une seule voie rapide apparaît : celle qui mène à la mer au nord (axe Caen-Ouistreham). Le haut du tableau représente le ciel, le soleil et le sable. La gare Sncf est représentée par un train orange clair, le port ou le canal par un bateau bleu, le Chu par un bâtiment orange foncé, le château est en vert, etc. Le dessin du château, normalisé, n’est pas du tout conforme à la réalité. Au sud, un parallélépipède bleu et jaune (Ikéa) fait office de centre commercial périphérique, non loin d’une arène jaune (Palais des sports). À proximité immédiate se situe une salle de sport (avec des haltères) ayant un aspect de nuage vert, une trottinette orange étant dessinée à côté. Au nord, une maison rouge avec un lit rose se détache : c’est le lieu d’habitat. À l’est figure la tour de réfrigération de la Smn. Cette carte donne de la sorte beaucoup de détails sur le péricentre et hiérarchise les objets : par exemple le Palais des sports est deux fois plus grand que le château. Enfin, la rue Ecuyère (parfois qualifiée de « rue de la soif ») est indiquée avec des verres, une bouteille et le seul personnage du tableau. Cette carte rend donc compte de l’imaginaire d’une personne ainsi que de sa volonté de rendre sa carte esthétique. Le questionnaire fait paradoxalement ressortir un ressenti mitigé de Caen : calme mais aussi « bétonné et moche ».

Figure 4 : un centre-ville très approprié et des lieux catégorisés.

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Crédits : Fournier J.-M.

Carte mentale de type 4.

6Cette carte multicolore représente un espace vécu de taille beaucoup plus réduite, avec une forte place accordée aux trames vertes (Prairie, jardin des plantes) et aux trames bleues (bassin Saint-Pierre, Orne, Canal). Une légende élaborée la guide : lieux de sport (rugby, gym, poney), transports urbain (ligne rose du tramway), lieux d’acquisition des savoirs (Université, lycée Charles de Gaulle, lycée Malherbe, école Henri Brunet), lieux patrimoniaux (en marron : château, abbaye aux Dames, abbaye aux Hommes, église Saint-Pierre), lieux de culture (musées, bibliothèque, théâtre), et des catégories présentées de manière plus ludiques « un peu de vert » et « de l’eau ! ». Cette personne habite entre le château et l’église Saint-Jean, (« mon lieu d’habitat » en légende). Les déplacements se font en grande partie sur des espaces piétons ; ils sont indiqués en jaune « itinéraires familiers ». Cette carte fait donc ressortir un territoire continu avec des parcours linéaires, structurés en réseau, tout autour du logement.

Figure 5 : le réseau familial.

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Crédits : Fournier J.-M.

Carte mentale de type 5.

7L’originalité de cette carte en quatre couleurs réside dans l’importance des lieux familiaux pratiqués au quotidien : « chez mes parents », « chez mon copain » ou « chez ma sœur ». De plus, un cercle définit « mon centre-ville » centré sur les rues Écuyère et Arcisse de Caumont. Si ce périmètre est restreint, il est aussi très clairement délimité et fortement approprié. Plusieurs lieux précis sont importants : les bars « La Garsouille » et « Chez Paulette » et antérieurement « Le 23 » ou « La Pétroleuse ». Si le château (en vert) occupe une très grande superficie, il n’est que traversé ou contourné. Au-delà de ce territoire, les références à des lieux sont limitées : la « Fac de Caen », la bibliothèque Alexis de Tocqueville, des librairies et une auto-école. Cette carte combine un territoire très approprié et bien relié à un réseau de lieux secondaires très sélectif puisque, au total, moins de dix lieux centraux sont représentés.

Figure 6 : le plan de ville.

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Crédits : Fournier J.-M.

Carte mentale de type 6.

8Cette carte monochrome s’inspire d’un plan de ville conventionnel, avec une grande richesse de noms de lieux. On repère de fait trois niveaux de rues : les grands axes (Fossés Saint-Julien, Rue de Geôle, Maréchal Leclerc, etc.), les rues secondaires (rue Saint-Pierre, rue Saint Laurent, rue de Bras, etc.) et les petites rues (rue Froide, rue Demolombe, rue Vauquelin, etc.). Les places (place de la République, place Saint Sauveur), églises (Saint-Pierre, Saint-Sauveur), mais aussi les grands repères classiques sont présents (château, Hôtel de ville, abbaye, tribunal, cour d’appel, etc.). Le seul commerce mentionné, et qui révèle une pratique personnelle, est le « Mc Do ». Cette carte tente de localiser de manière normée, tel un plan urbain, les symboles majeurs du centre piétonnier. Sur le dessin, la place d’Anjou a été inventée. Il s’agit en fait de la place Malherbe où un commerce (la pharmacie d’Anjou) y occupe une grande place. L’espace représenté est réduit en taille. Il obéit à des normes de représentations conventionnelles, et notamment une grande place accordée aux rues.

Figure 7 : la carte avec des itinéraires.

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Crédits : Fournier J.-M.

Carte mentale de type 7.

9Caen est dessinée en quatre couleurs sous forme d’un grand cercle, avec deux grands repères liés à l’eau (en vert) : la mer au nord et le port au sud. Depuis « chez moi », à l’ouest, trois parcours sont indiqués : vers l’école au nord, vers le travail à l’est (à Hérouville-Saint-Clair) et vers le port de plaisance au sud. Les « maisons amies » sont signalées avec des points rouges. Ces trois itinéraires sont parcourus en transport en commun (bus et tram). On retrouve les grands repères des cartes précédentes et aussi des lieux plus personnels tels le supermarché « Aldy » (Aldi) ou encore le café « New Port ». En dehors des trois grands circuits (bus et tram), l’espace n’est pas structuré. Les déplacements en transport en commun conditionnent ici les représentations mentales. On ne constate pas vraiment de hiérarchisation des éléments dessinés puisqu’ils sont tous de taille identique.

Figure 8 : des sous-ensembles autonomes.

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Crédits : Fournier J-M.

Carte mentale de type 8.

10Cette carte en cinq couleurs détaille des lieux de vie dans la partie est de l’agglomération : Hérouville-Saint-Clair, Sannerville, Colombelles, Mondeville et Cormelles-le-Royal. Paradoxalement, cette personne habite Verson et il n’est fait aucune référence aux moyens de transport et itinéraires entre le domicile et les autres lieux de vie dessinés. Des cercles ou bulles caractérisent des sous-ensembles ou pôles non reliés entre eux. On note par exemple deux pôles pour Colombelles : d’une part, le centre-ville et la médiathèque, et d’autre part, le plateau, le Tiers lieu Wip, Lidl, l’entreprise Chiron, etc. Le même constat vaut pour Hérouville-Saint-Clair : le Café des images est séparé de Beauregard. De plus, le centre-ville de Caen n’est qu’une étiquette située au centre. La légende distingue les lieux de travail et de rencontres professionnelles, les lieux de loisirs, les lieux de refuge (en vert) et les lieux d’études. Les pôles sont déconnectés, comme si Caen était une sorte d’archipel avec des îles proches mais toujours séparées.

Figure 9 : un espace inachevé et des zooms.

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Crédits : Fournier J-M.

Carte mentale de type 9.

11Ce dessin en quatre couleurs mélange plusieurs types de représentations : la perspective, la vue du ciel et la vue de face. Il fait ressortir l’Orne et le canal comme un grand axe nord-sud. L’architecture du Chu est détaillée ainsi que, au nord, l’axe de quatre voies rapides allant vers la mer (sans y aboutir), et desservant des villages. Des quartiers pavillonnaires ou encore des immeubles sont dessinés en détail (avec portes et fenêtres) alors que d’autres symboles sont très sommaires (Zénith, tour de réfrigération de la Smn, château d’eau d’Hérouville-Saint-Clair). Plusieurs lieux sont dilatés, selon un « effet de loupe » ou de zoom. Au sud-est, des immeubles hauts et denses sont isolés, tandis que des bâtiments industriels semblent disposés de part et d’autre du périphérique, inachevés. Caen est donc ici une ville organisée, mais entre l’échelle globale de l’agglomération et l’échelle fine de la rue, il manque l’échelle intermédiaire des quartiers, exception faite du Chemin Vert.

12Il n’existe pas de bonne ou de mauvaise carte mentale. Une carte ne révèle que les représentations personnelles et subjectives des espaces vécus, très variables d’une personne à une autre. Certains repères sont partagés par de nombreux habitants. Ainsi, le château, la Presqu’île ou encore le lien à la mer ressortent quasiment systématiquement. Les cartes mentales nous renseignent alors sur les lieux qui caractérisent l’identité partagée de la ville. Mais ces dessins reflètent surtout la grande diversité des représentations spatiales. Par exemple, on compte jusqu’à 40 noms de lieux écrits (type 8) tandis que certaines cartes sont totalement muettes (type 3). Si tout le monde habite dans la même ville, chacun la perçoit avec ses propres filtres liés à l’âge, au lieu d’habitat, à la capacité à se déplacer et à s’approprier, ou non, des lieux, etc. Comme dans toutes les villes, les Caennais n’habitent pas tous exactement la même ville.

Pour citer ce document

Jean-Marc Fournier, 2024 : « Caen vu par des cartes mentales géographiques d’habitants : une diversité de représentations », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 24/10/2024, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1292, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1292.

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Bibliographie

Avry L., 2012, Analyser les conflits territoriaux par les représentations spatiales : une méthode cognitive par cartes mentales, Thèse de doctorat en géographie aménagement, Université de Rennes 2, 586 p. https://theses.hal.science/tel-00808779

Fleuret S., 2023, « Territoire, coordinations et coopérations en santé : une approche par les cartes mentales géographiques », Revue francophone sur la santé et les territoires [En ligne]. URL : http://journals.openedition.org/rfst/1785 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfst.1785

Péron F., 1994, « Caen, ville universitaire. Pratiques et perceptions du campus, de l’agglomération caennaise et de la région par les étudiants », in : L’Université, la région, les villes en Basse-Normandie, Hérin R. (dir.), Caen, CRESO, UCBN, Caen, p. 91-121.

Poublan-Attas V., 1998, L’espace urbain déformé : transports collectifs et cartes mentales, Thèse de doctorat, École Nationale des Ponts et Chaussées, Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (Latts), 377 p.https://pastel.hal.science/tel-00180195

Index géographique

Résumé

Une carte mentale géographique est un dessin réalisé librement sur une feuille de papier blanche par une personne pour représenter un lieu donné. Il s’agit d’une carte personnelle, subjective, déformée par rapport à la réalité, qui exprime le ressenti et les liens affectifs tissés avec le territoire. Pour un même lieu, une diversité de cartes mentales existe, en fonction de l’âge des personnes, de leur catégorie sociale, de leur lieu de résidence, de leurs déplacements, de leur imaginaire, etc. A quoi ressemble Caen et son agglomération vues par le prisme des cartes mentales ? Que révèlent les différences entre l’espace réel et l’espace dessiné ?

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