Atlas Social de Caen

De l'agglomération à la métropole ?

Le paradoxe de la pauvreté : un phénomène à la fois diffus et concentré

par Quentin Brouard-Sala et Morgane Esnault

planche publiée le 07 mai 2021

Que révèle la cartographie de la pauvreté ? Existe-t-il des dynamiques de concentration, voire de relégation, des populations pauvres dans des lieux particuliers ? Observe-t-on un ancrage de personnes captives de certains espaces où la pauvreté est importante ? À partir des fichiers locaux sociaux et fiscaux (FILOSOFI) de l’INSEE, il est possible de calculer des seuils de pauvreté à l’échelle fine de carrés de 200 x 200 mètres. La géographie de la pauvreté est plus complexe que ce que l’on pourrait penser.

1Les populations en situation de pauvreté, c’est-à-dire les ménages dont le revenu annuel est en dessous du seuil fixé à 60 % du revenu médian (1 041 €/mois pour une personne seule en 2017), sont présentes dans l’ensemble de l’aire urbaine caennaise et au-delà. La moyenne nationale du taux de pauvreté est de 14,4 %. La typologie ici retenue sépare les espaces qui concentrent relativement peu de pauvres par rapport à la moyenne nationale (en bleu clair et bleu foncé), et inversement les espaces qui concentrent, toujours relativement, le plus de pauvres (en orange et rouge). Une catégorie de transition (en jaune) représente des taux intermédiaires.

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Carte : Brouard-Sala Q., Esnault M.

La pauvreté aux marges et au centre de Caen

Pauvreté en périphérie et pauvreté dans le centre-ville

2À Caen comme ailleurs, les villes concentrent une partie de la population sous le seuil de pauvreté du fait de l’importance des logements collectifs, et notamment du parc social dont la vocation est d’accueillir des ménages aux profils sociologiques généralement plus pauvres. Des quartiers aux marges de la commune de Caen se distinguent clairement : le nord d’Hérouville-Saint-Clair, la Pierre-Heuzé ou le Chemin Vert au nord, et au sud la Grâce de Dieu et la Guérinière. Ces quartiers ont été construits à l’origine pour loger les ménages ouvriers qui travaillaient dans des grandes usines de la ville. Ils ont été complétés par de grands ensembles pour répondre aux besoins croissants de logements dans les années 1960 à 1980. Une partie de ces quartiers sont considérés comme des quartiers prioritaires relevant de la politique de la ville. Depuis les années 2000, la politique de renouvellement urbain a engendré la démolition, la réhabilitation mais aussi la construction de logements dans ces lieux. On vise à favoriser la mixité sociale, c’est-à-dire à réduire la part de populations pauvres, en favorisant leur insertion sociale par l’arrivée de populations plus aisées. Le risque est cependant de reléguer les personnes les plus pauvres dans un quartier plus lointain à cause des loyers trop élevés.

3Contrairement à une idée répandue, le centre-ville comprend des lieux où les seuils de pauvreté sont supérieurs à la moyenne nationale. Une partie de l’explication tient à la structure sociale du centre et à l’importance de petits logements à destination d’étudiants et, plus généralement, de jeunes actifs. En effet, l’enseignement supérieur et les emplois tertiaires suscitent l’installation de personnes jeunes, mais aussi plus pauvres. Cette population est ancrée aux alentours du château, de la rue Saint-Pierre et du port de plaisance. Cependant, les réhabilitations de logements dans le centre-ville, comme dans les quartiers périphéries, ont eu tendance à augmenter les montants des loyers. De ce fait, les jeunes actifs, aux revenus plus élevés que les étudiants, semblent y avoir davantage accès. Les étudiants qui n’ont pas les moyens d’habiter dans le centre se retrouvent logés dans les cités universitaires (sur les campus, à Lébisey ou à Hérouville-Saint-Clair) ou dans des logements privés plus périphériques.

4Cette situation n’est pas spécifique à Caen. On la retrouve à Bayeux, Lisieux, Ouistreham, Cabourg ou Dives-sur-Mer où les populations pauvres sont surreprésentées dans certaines zones des espaces centraux. Là encore, l’explication tient au type de logement (nombreux logements locatifs et sociaux) et à la sociologie (importance des emplois peu qualifiés et peu rémunérés). Cette polarisation de populations précaires n’est pas nouvelle. Elle diminue ou s’accentue au grès des conjonctures économiques mais se perpétue du fil du temps.

La pauvreté dans les campagnes distantes

5À une échelle géographique plus large, on constate des taux de pauvreté élevés de part et d’autre du périmètre de l’aire urbaine de Caen, au sens INSEE. Il s’agit d’espaces périurbanisés lointains ou d’espaces ruraux isolés. Par exemple, la proportion de personnes pauvres est, relativement, importante à l’ouest de l’agglomération, entre l’A84 et Bayeux, dans les bourgs de Caumont-Sur-Aure ou Cahagnes. Ce phénomène s’explique par un ensemble de facteurs : un marché immobilier plus accessible en périphérie lointaine, surtout pour les familles qui ont besoin de grandes surfaces habitables, mais également le statut socio-économique (niveaux de diplôme, emplois, revenus, etc.) ou encore l’âge des ménages ou le type de famille. Dans certains cas, ces personnes précaires sont captives de leur logement dans la mesure où, économiquement, elles ne peuvent pas partir, ce qui contribue à les maintenir à des niveaux élevés de pauvreté. En effet, éloignés des emplois concentrés dans les centres urbains, ces habitants doivent multiplier les déplacements (école, travail, famille, etc.), ce qui les fragilise davantage. Au-delà de leur relégation, ces personnes sont de fait maintenues dans des conditions fragiles.

6Cette concentration de la pauvreté dans ces différents espaces urbains ou ruraux, ne signifie pas pour autant l’absence de pauvreté ailleurs. La pauvreté est partout. C’est pourquoi elle nécessite des interventions territoriales mais aussi sectorielles.

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Carte : Brouard-Sala Q., Esnault M.

La pauvreté à l’échelle de l’aire urbaine caennaise

On remarque des niveaux de pauvreté élevés dans les villes mais également dans les espaces périurbains lointains et les espaces ruraux isolés. La base de données FILOSOFI de l’INSEE présente des avantages et des inconvénients. Le principal avantage réside dans la précision de la localisation puisque les données individuelles localisées sont regroupées dans des carreaux de 200 x 200 mètres. Le principal inconvénient est la « winsorisation » des résultats : des seuils statistiques maximum ou minimum ont été définis, ce qui a pour conséquence de limiter l’importance des valeurs extrêmes. En dépit de cette remarque, ces données restent très fiables pour cartographier la pauvreté à Caen

Pour citer ce document

Quentin Brouard-Sala et Morgane Esnault, 2021 : « Le paradoxe de la pauvreté : un phénomène à la fois diffus et concentré », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 07/05/2021, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=700, DOI : en attente.

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Bibliographie

Mathieu N., 1997, Les enjeux de l'approche géographique de l'exclusion sociale, in Economie rurale n°242, p.21-27 https://doi.org/10.3406/ecoru.1997.4894

Sélimanivski C., 2008, La frontière de la pauvreté, Presses Universitaires de Rennes, 294 p.

Index géographique

Résumé

Que révèle la cartographie de la pauvreté ? Existe-t-il des dynamiques de concentration, voire de relégation, des populations pauvres dans des lieux particuliers ? Observe-t-on un ancrage de personnes captives de certains espaces où la pauvreté est importante ? À partir des fichiers locaux sociaux et fiscaux (FILOSOFI) de l’INSEE, il est possible de calculer des seuils de pauvreté à l’échelle fine de carrés de 200 x 200 mètres. La géographie de la pauvreté est plus complexe que ce que l’on pourrait penser.

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