Atlas Social de Caen

De l'agglomération à la métropole ?

La Presqu’île : entre quartier de luxe et marginalité sociale

par Jean-Marc Fournier et Patrice Caro

planche publiée le 16 septembre 2024

Entre le moment où des activités économiques sont déclinantes ou obsolètes et le moment où de nouvelles activités peuvent les remplacer, il peut s’écouler de très nombreuses années. Du temps est en effet nécessaire pour concevoir des plans d’aménagement, trouver des financements, mener des choix d’urbanisme et d’architecture, exécuter les travaux, etc. Les friches urbaines qui résultent de ces temps d’attente font souvent l’objet d’appropriation temporaire par certains habitants : des artistes, des militants, personnes marginalisées, etc.

Des lieux culturels éphémères

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Crédits : Fournier J-M., Caro P., Mellet C., Legentil U.

Figure 1 : La Presqu'île : entre quartier de luxe et marginalité sociale.

1Pendant sept ans, l’association Amavada a occupé un bâtiment industriel rebaptisé La Fermeture éclair, pour en faire un lieu culturel éphémère comprenant une salle de spectacle et un espace cafétéria-boutique. Cette structure indépendante rassemblait des artistes amateurs et professionnels, intermittents du spectacle, et bénéficiait de subventions publiques (Conseil régional, Département du Calvados, Ville de Caen). En 2018, comme prévu dès le départ, le bâtiment a été détruit pour laisser place à un immeuble tout neuf. Au cours des années, divers artistes ont utilisé la Presqu’île pour exprimer leur art, de manière formelle ou informelle. Un autre exemple est celui du Bazarnaom, lieu de résidence et fabrique artistique.

Figure 2 : De nombreux bâtiments ont surgit de terre en quelques années. Le paysage a été bouleversé.

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Crédits : Fournier J-M.

Figure 3 : La salle des musiques actuelles Le Cargö a été le premier bâtiment d’ampleur à être construit en 2007.

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Crédits : Fournier J-M.

Des investissements publics et privés

2L’implantation du Cargö (2007), une salle des musiques actuelles puis de l’École supérieure d'arts et médias (2009), sont les premiers signes de la reconversion du site de la Presqu’île, grâce à des capitaux publics. Il s’en suit la construction du tribunal de grande instance (2015), un édifice réalisé dans le cadre d’un partenariat public-privé puisqu’une filiale de la Caisse d’Épargne est propriétaire du bâtiment tandis que le ministère de la justice le loue pour 27 ans. L’émergence du Dôme (2016), un tiers lieu visant à réunir des scientifiques et le grand public, puis de la bibliothèque Alexis de Tocqueville (2017) confirme le contexte de l’économie tertiaire et de la connaissance. Une ligne de tramway a été prolongée (2019) pour desservir ces nouveaux lieux.

3Tous ces investissements publics ont entraîné des investissements privés dans des résidences de luxe (7 000  /m²). Les promoteurs immobiliers vantent une localisation exceptionnelle (centre-ville historique, gare Sncf), un emplacement prestigieux (proche d’une bibliothèque monumentale) et le privilège de vues inédites (abbaye aux Dames, port de plaisance), etc. Ces actions poursuivent un autre programme, inauguré en 2013, appelé Les Rives de l’Orne, qui regroupe un ensemble de bureaux (25 000 m²), des logements (250) et des commerces (25 000 m²) comprenant un cinéma (10 salles), un hôtel et une résidence seniors. Situé en bordure de l’Orne, sur un ancien centre de tri postal, cet ensemble matérialise la tendance mondiale à privilégier les fronts d’eau pour ancrer de grandes opérations d’aménagement. Enfin, une autre initiative (2021), orchestrée par Normandie Aménagement, a consisté à transformer un ancien garage automobile Renault en tiers lieu dédié à l’innovation digitale et la pluridisciplinarité : le Moho, localisé sur une parcelle contigüe aux Rives de l’Orne. L’objectif est d’attirer des jeunes ayant des projets innovants, de favoriser l’installation de startups et de stimuler le développement économique, la proximité de la gare ferroviaire étant un atout pour attirer des personnes extérieures à l’agglomération.

Figure 4 : Les Rives de l’Orne : le premier ensemble (2013) qui exprime l’engouement pour les fronts d’eau.

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Crédits : Fournier J-M.

Figure 5 : L’envers du décor : la Presqu’île côté extrême précarité sociale.

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Crédits : Fournier J-M.

4La bibliothèque Alexis de Tocqueville constitue le bâtiment le plus spectaculaire de ce quartier en devenir. Cet investissement était-il indispensable pour doter Caen d’un nouveau symbole de modernité et pour attirer des investisseurs privés, tout comme de nouveaux habitants, ou a-t-il été réalisé au détriment d’autres projets qui ne verront pas le jour, ou qui seront remis à plus tard ? Il ne sera possible de répondre à ces questions que sur le long terme, dans le cadre d’un bilan historique. De plus, afin de favoriser la mixité sociale, la Mairie de Caen a souhaité implanter sur la Presqu’île une auberge de jeunesse. Cette structure a finalement pris la forme d’un établissement privé dénommé The People.

5Derrière les grues des chantiers, d’importantes friches industrielles sont en attente de requalification. Ces espaces ont une vie sociale : des lieux d’accueil pour des personnes en détresse sociale, dont des réfugiés et migrants, anciens squats, mais également des lieux de prostitution. La marginalité sociale, souvent invisible, constitue ainsi l’envers du décor des bâtiments neufs et parfois opulents.

Figure 6 : Le paradoxe de ce lieu est de voir cohabiter des habitants parmi les plus riches de l’agglomération et des habitants parmi les plus pauvres, à quelques centaines de mètres de distance.

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Crédits : Fournier J-M.

Pour citer ce document

Jean-Marc Fournier et Patrice Caro, 2024 : « La Presqu’île : entre quartier de luxe et marginalité sociale », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 16/09/2024, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1281, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1281.

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Résumé

Entre le moment où des activités économiques sont déclinantes ou obsolètes et le moment où de nouvelles activités peuvent les remplacer, il peut s’écouler de très nombreuses années. Du temps est en effet nécessaire pour concevoir des plans d’aménagement, trouver des financements, mener des choix d’urbanisme et d’architecture, exécuter les travaux, etc. Les friches urbaines qui résultent de ces temps d’attente font souvent l’objet d’appropriation temporaire par certains habitants : des artistes, des militants, personnes marginalisées, etc.

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