Atlas Social de Caen

De l'agglomération à la métropole ?

Marchés de plein vent et divisions sociales à Caen : « J’ai pas envie de vendre qu’à des dentistes »

par Pierre Guillemin, Adeline Graby et Maxime Marie

planche publiée le 17 septembre 2020

Favorables aux circuits courts alimentaires, les marchés de plein vent sont intégrés à la communication sur l’attractivité des villes. À Caen comme ailleurs, les marchés sont dynamiques et d’ampleur variable (de cinq à 400 exposants). Ils apparaissent comme des espaces sociaux différenciés. L’offre proposée reflète souvent les caractéristiques des populations qui les fréquentent.

Cette planche s’appuie sur un travail réalisé par les étudiants de licence de géographie en 2019

1Cette étude s’appuie sur deux enquêtes réalisées sur les marchés de l’agglomération de Caen. La première se base sur des entretiens conduits auprès de maraîchers en 2016. La seconde s’intéresse aux pratiques alimentaires des ménages fréquentant les marchés. Conduite par des étudiants en 2019, elle concerne huit marchés principaux sur les douze que compte l’agglomération caennaise. Plus de 630 questionnaires ont été récoltés sur les marchés de centre-ville (place Courtonne le dimanche, boulevard Leroy le samedi, Saint-Sauveur le vendredi), ainsi que sur des marchés situés plus en périphérie se déroulant en semaine (Guérinière le jeudi ; Venoix, Hérouville-Saint-Clair, Calvaire-Saint-Pierre le mercredi ; rue de Bayeux le mardi).

Fréquentation des marchés et différences sociales

2Les caractéristiques des populations rencontrées sur les marchés diffèrent de celles de la population résidente. Les personnes de référence des ménages fréquentant les marchés présentent des niveaux de diplôme supérieurs à ceux de l’ensemble de la population de plus de quinze ans résidant dans l’agglomération. On constate une forte sous-représentation des « sans diplôme », des « CAP-BEP » et des « bac ou équivalent » dans la moyenne et une forte surreprésentation des diplômés du supérieur : l’approvisionnement sur les marchés est donc socialement différencié. L’analyse de la composition des populations enquêtées selon les types de marchés offre toutefois une illustration nuancée de cette première différenciation.

3Les marchés de centre-ville et de fin de semaine (Saint-Sauveur et boulevard Leroy) sont fréquentés par les populations les plus favorisées : environ 30 % de cadres et entre 25 et 30 % de professions intermédiaires (à Saint-Sauveur les professions libérales représentent près de 15 %). L’offre alimentaire y est adaptée aux goûts et au pouvoir d’achat de ces catégories (produits de la mer, produits locaux certifiés AB, etc.), comme en témoignent les maraîchers :

« Le vendredi [Saint Sauveur] vous avez des produits comme l’endive, le petit pois Mange-tout ou le petit pois à écosser. Ces gens-là, ils achètent, ou la fraise, ils achètent beaucoup […], la fraise c’est cher, l’endive c’est cher. » (expl. 1)

« C’est plutôt une clientèle… On va dire… bourgeoise retraitée. » (expl. 2)

« Soit tu cartonnais en prix et tu captais que les bourgeoises et les bourgeois […] Moi j’ai pas envie de vendre qu’à des dentistes et à des médecins. » (expl. 6)

4La population fréquentant les marchés péricentraux s’approche du profil précédent, même si les employés y sont cette fois les plus représentés (plus de 30 %), suivis des professions intermédiaires et des cadres. La clientèle est également plus ”locale”, résidant souvent dans le quartier où se tient le marché.

Figure 1 : Fréquentation des marchés suivant la catégorie socio-professionnelle des enquêtés

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Graphique : M. Marie

5Sur le grand marché du dimanche (place Courtonne), la population est la plus diversifiée. Les employés et les professions intermédiaires sont les mieux représentés, suivis des cadres, des étudiants et des ouvriers. De même, les origines géographiques y sont les plus diversifiées. Les ménages proviennent majoritairement de l’agglomération (à plus de 70 %) mais ils sont aussi originaires des zones périurbaines (20 %), voire de l’extérieur de l’aire urbaine (presque 10 %).

6La population fréquentant les marchés de la Guérinière et d’Hérouville (deux quartiers prioritaires de la Politique de la Ville) est la moins hétérogène. Une écrasante majorité des personnes interrogées appartient aux catégories populaires (employés pour près de 40 %, ouvriers pour près de 20 %). Ces deux marchés se singularisent par leur fréquentation locale, ainsi que par une clientèle issue du reste de l’agglomération, notamment des autres quartiers prioritaires de la Politique de la Ville (respectivement 43 et 62 %).

Figure 2 : L’origine géographique des usagers des marchés de l’agglomération de Caen

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Carte : M. Marie

Figure 3 : Part des enquêtés selon leur origine géographique, dans chacun des marchés

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Tableau : M. Marie

Quatre types de marchés

7À Caen, on distingue schématiquement quatre types de marché : le « grand » marché du dimanche, où la population est socialement diversifiée et qui témoigne du rayonnement de la ville-centre ; les marchés du vendredi et du samedi qui se tiennent dans des quartiers péricentraux en voie d’embourgeoisement, plutôt fréquentés par des populations aisées et à capital culturel important, où les exposants ont identifié la forte demande en produits locaux et biologiques ; les « petits » marchés de proximité en semaine, avec une clientèle locale, relativement aisée et âgée, avec une offre réduite due au faible nombre d’exposants ; les marchés des quartiers populaires enfin, où les producteurs et les commerçants adaptent leur offre et leurs prix au profil des clients :

« Le jeudi on va pas forcer trop en fraises ou en petits pois, parce que on sait bien que c’est pas une grosse demande. » (expl. 1)

« Ben, il y avait pas mal de billets de 5 parce que c’était le marché de la Guérinière. » (expl. 1)

« Le plant pour les jardins, là c'est bien […] À Cormelles, il y a les jardins. » (expl. 5)

8Si la fréquentation du marché est une pratique qui semble rester socialement sélective, on constate une forte différenciation de la clientèle selon les quartiers dans lesquels s’inscrivent les marchés et selon l’offre proposée par les commerçants.

Pour citer ce document

Pierre Guillemin, Adeline Graby et Maxime Marie, 2020 : « Marchés de plein vent et divisions sociales à Caen : « J’ai pas envie de vendre qu’à des dentistes » », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 21/09/2020, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=326, DOI : en attente.

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Adeline Graby

Doctorante en géographie, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO), Université de Caen Normandie

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Adeline Graby

Résumé

Favorables aux circuits courts alimentaires, les marchés de plein vent sont intégrés à la communication sur l’attractivité des villes. À Caen comme ailleurs, les marchés sont dynamiques et d’ampleur variable (de cinq à 400 exposants). Ils apparaissent comme des espaces sociaux différenciés. L’offre proposée reflète souvent les caractéristiques des populations qui les fréquentent.

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