En 2002, après environ deux ans de travaux d’aménagement, un tramway est inauguré pour moderniser Caen et résoudre les difficultés à se déplacer. Contesté au départ, il est basé sur une innovation technologique : contrairement à un tramway fer classique, il comprend des pneus et un seul rail de guidage. Dès sa mise en service, et pendant des années, les pannes, suspensions de service et retards sont très fréquents. En 2011, le constat d’un échec industriel est acté. Il faut attendre 2019 pour qu’un deuxième tramway, ayant occasionné de nouveaux travaux d’aménagement pendant un an, offre enfin aux habitants un moyen de transport fiable.
1Jusqu’en 1973, une entreprise privée gère le réseau de bus caennais qui est simple, centralisé et qui dessert mal les périphéries. Par la suite, la municipalité accepte de prendre en charge les pertes financières engendrées par la création de lignes déficitaires et de tarifs sociaux. On admet alors que les enjeux des transports en commun dépassent les lois de la rentabilité économique. Puis, en 1977, est créé le syndicat mixte des transports urbains de l’agglomération caennaise qui regroupe dix-sept communes. Ce changement est important puisque le réseau passe en quelques années de 40 à 225 kilomètres. Le nombre de voyageurs progresse de quatre millions en 1970 à 18 millions en 1980, en lien avec la croissance démographique de l’agglomération.
Figure 1 : Le réseau de bus en 1975 : simple et favorisant avant tout la desserte du centre-ville.
Sources : Caen informations municipales, Bulletin n o1, 20 mars 1975.
Le réseau de bus en 1975 est composé de quatre grandes lignes (Drakkar, Conquérant, Viking, Normandie) qui relient des quartiers périphériques opposés en passant par le centre-ville. S’y ajoutent une ligne appelée périphérique qui fait le tour de la ville ainsi que cinq lignes secondaires.
Un processus de décision très long
2Dès 1988, une réflexion est engagée pour développer un mode de transport sur voie réservée. On cherche à réduire les embouteillages et l’usage de la voiture en centre-ville. En 1994, les premières études d’impact et de faisabilité sont réalisées. Le projet figure alors dans les documents officiels d’aménagement et d’urbanisme, notamment le plan de déplacements urbains. Les élus et la presse y font régulièrement référence. Il est présenté comme un équipement incontournable pour l’avenir : nécessaire pour optimiser les flux et la compétitivité économique, ainsi que pour renforcer la cohésion sociale. Il doit en effet relier les quartiers d’habitat social au centre-ville. Cependant, des doutes et réticences apparaissent et prennent de l’ampleur à l’approche des élections municipales de 1995. Jean-Marie Girault, maire de 1970 à 2001, brigue alors un cinquième mandat. Fervent défenseur de ce projet, il s’engage à faire un référendum s’il est réélu, ce qui est le cas. Le résultat du référendum est sans appel : 66 % des votants sont opposés au projet. Mais le taux de participation est faible, et surtout seuls les habitants de la commune de Caen ont voté alors que ce système de transport concerne en réalité dix-sept communes.
3Le projet prend alors du retard. En 1997, le syndicat mixte des transports de l’agglomération réaffirme sa position favorable. Mais en 1998, l’enquête pour déclaration d’utilité publique émet un avis défavorable, notamment parce que le choix d’un tramway sur pneus semble être une innovation technologique risquée. La municipalité de Caen saisit alors le Conseil d’Etat qui émet, lui, un avis favorable en 1999. Après deux ans de travaux, le tramway est enfin inauguré fin 2002, grâce à un emprunt financier important.
Les conditions d’une nouvelle vie urbaine
4Au-delà d’un changement d’organisation, le tramway a profondément modifié la vie urbaine, inspirant l’aménagement de nouveaux espaces piétonniers. Certaines rues commerçantes connaissent un nouvel essor, tandis que d’autres sont en perte de vitesse. Les terrasses de café se multiplient, et des entreprises ou des administrations se délocalisent en périphérie. Dans les quartiers périphériques de logements sociaux, le désenclavement est réel car le tramway relie physiquement des quartiers socialement contrastés.
5Pendant plus de dix ans, en dépit d’améliorations, le manque de fiabilité de ce tramway sur pneus contrarie les déplacements quotidiens de nombreux habitants, notamment pour se rendre sur leurs lieux de travail ou d’études. Ceux qui ne disposent pas d’un moyen de transport alternatif sont très pénalisés. D’un coût initial de 215 millions d’euros en 2002, son remplacement en 2019 coûte plus de 250 millions. Le projet de deuxième ligne allant d’est en ouest, prévu en 2005 pour 2015, est désormais à l’ordre du jour pour 2028. Au-delà de ses déboires, le tramway caennais incarne toutefois un changement urbain majeur, les transformations du cœur de la ville ayant été réduites depuis la Reconstruction. Pièce centrale du système de transport en commun, le tramway forme pour tous un repère urbain majeur.
Figure 2 : Le réseau Twisto des transports en commun en 2021.
Sources : Keolis Caen Mobilités
Si en 1975 le réseau des transports en commun était simple à utiliser, il n’offrait pas une réelle alternative à l’usage de la voiture. Aujourd’hui, le réseau permet de multiples déplacements en tout point de l’agglomération. Il est aussi devenu complexe à utiliser pour certains usagers : difficultés à lire un plan ou le système des horaires, à planifier un itinéraire combinant plusieurs lignes, etc.
Figure 3 : Le nouveau tracé envisagé rue Guillaume Le Conquérant est contesté (2022).
Sources : Jean-Marc Fournier
Comme tout projet d’aménagement, le nouveau tracé de la ligne de tramway prévue pour 2028 fait l’objet de contestations.
Pour citer ce document
Jean-Marc Fournier, 2023 : « Les enjeux urbains et sociaux du tramway », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 21/04/2023, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1169, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1169.
Autres planches in : Transports et mobilités
Bibliographie
Fournier J.-M., 2019, Tramway, développement local, enjeux politiques, économiques et sociaux. L’exemple de Caen 1988-2017, Placetelling, Collana di Studi Geografici sui luoghi e sulle loro rappresentazioni, no2, Università del Salento, p. 57-66. http://siba-ese.unisalento.it/index.php/placetelling/article/view/20431
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Jean-Marc Fournier
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Jean-Marc FournierRésumé
En 2002, après environ deux ans de travaux d’aménagement, un tramway est inauguré pour moderniser Caen et résoudre les difficultés à se déplacer. Contesté au départ, il est basé sur une innovation technologique : contrairement à un tramway fer classique, il comprend des pneus et un seul rail de guidage. Dès sa mise en service, et pendant des années, les pannes, suspensions de service et retards sont très fréquents. En 2011, le constat d’un échec industriel est acté. Il faut attendre 2019 pour qu’un deuxième tramway, ayant occasionné de nouveaux travaux d’aménagement pendant un an, offre enfin aux habitants un moyen de transport fiable.
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