Atlas Social de Caen

De l'agglomération à la métropole ?

Ikéa : de l’engouement au conflit

par Jean-Marc Fournier

planche publiée le 03 mai 2023

En 2011, un magasin Ikéa ouvre au sud de l’agglomération caennaise. Il s’agit de la première pièce d’un ensemble commercial inséré dans une vaste zone d’aménagement concerté. L’objectif est d’urbaniser des terrains situés entre les communes de Caen, Ifs et Fleury-sur-Orne. Mais dès 2014, certains élus et commerçants s’opposent à ce projet, aujourd’hui toujours bloqué pour des raisons juridiques, économiques et politiques. Comment un projet présenté comme une opportunité unique de développement pour l’agglomération est-il devenu si controversé et conflictuel ?

Des débuts très prometteurs

1En 2010, après quelques années de négociations, le groupe Ikéa achète à Caen la Mer un terrain de 43 ha pour quatorze millions d’euros via la société d’économie mixte Normandie Aménagement. Pour Ikéa, la recherche de nouveaux clients passe alors par la conquête de nouvelles régions, la stratégie visant à terme à quadriller la France de magasins. Pour les élus, l’implantation d’Ikéa est un atout économique mais également un signe distinctif du statut de grande ville, voire de métropole. Le député-maire de Caen, Philippe Duron, n’hésite pas à déclarer dans le magazine Sillage de Caen la Mer (no26, 2010) : « La venue d’Ikéa est un marqueur de l’image dynamique de notre territoire, au même titre que son université ou son offre culturelle. Mais Ikéa, c’est surtout un art de vivre, symbole de la jeunesse et de la modernité qui ne s’implante que dans les grandes villes ».

Figure 1 : Les terrains disponibles, propriété d’Ikéa

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Photo : Bailly G. et Stanislas C.

Ikéa est propriétaire de vastes terrains idéalement situés entre Caen et le périphérique sud, à proximité d’espaces périurbains en cours de densification. Le lieu est facilement accessible à l’échelle de l’agglomération, mais également à l’échelle régionale. Entre le magasin Ikéa de Rennes et celui de Rouen s’intercale un espace régional suffisamment vaste pour attirer des clients du Calvados mais également de la Manche et de l’Orne.

2Le projet initial prévoit trois volets : le magasin Ikéa, une vingtaine de moyennes surfaces et une trentaine de boutiques, toutes commercialisées par la filiale Interikéa, et une zone dénommée Artisaparc censée accueillir et développer l’artisanat local. Le groupe Ikéa annonce un investissement privé de 150 millions d’euros, la création à terme de près de 600 emplois et deux millions de clients attendus. Il communique sur une démarche environnementale : parking souterrain pour limiter la consommation d’espaces et l’impact visuel ; panneaux solaires, récupération des eaux de pluie, chaudière à bois, espaces verts, etc. Il met également l’accent sur son management social avec, par exemple, le recrutement par simulation pour donner sa chance à chacun. Des investissements publics sont également consentis : création d’une nouvelle sortie vers le périphérique pour réguler l’augmentation des flux d’automobiles dans ce secteur et prolongation d’une ligne de bus.

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Carte : Fournier J.-M. et Girardin A.

Figure 2 : Une localisation stratégique

La remise en cause d’un modèle d’aménagement

3L’ouverture du magasin s’effectue sans difficulté en 2011. Mais dès 2012, la commission nationale d’aménagement commercial n’approuve pas le plan d’extension qui comprend désormais un hypermarché. L’association de commerçants Les vitrines de Caen dépose alors un recours administratif en opposition au projet : l’offre commerciale est jugée suffisante. Ikéa modifie en retour son projet, qui est finalement accepté en 2014 par la commission nationale. Aux activités commerciales s’ajoutent des activités sportives et de loisirs autour d’un lac artificiel. Des pétitions apparaissent alors sur Internet, qui dénoncent un projet anachronique, énergivore, consommateur d’espaces dans un contexte économique défavorable. Puis, tous les acteurs locaux (élus de tous bords politiques, commerçants, associations environnementales, citoyens, etc.) s’unissent contre ce projet qui risque de mettre en danger le commerce du centre-ville de Caen mais aussi l’activité des autres zones commerciales périphériques. Une telle unanimité contre un projet d’aménagement est historique.

4En 2016, le maire de Fleury-sur-Orne donne cependant un avis favorable au permis de construire, sous condition d’une révision du plan local d’urbanisme. Un recours devant le Conseil d’État est alors déposé par les opposants. En 2017, la Cour administrative d’appel de Nantes réexamine le dossier et souligne qu’il doit être compatible avec le schéma de cohérence territoriale. En 2019, elle finit par annuler l’autorisation commerciale d’Ikéa. Mais le permis de construire, toujours valide, suscite un nouveau conflit mené par les associations environnementales. Le tribunal administratif de Caen donne ensuite raison à Ikéa sur ce point alors que d’autres recours judiciaires sont en suspens. Au fil des années, tous les médias locaux se sont fait l’écho de ce qui est devenu le feuilleton Ikéa.

Figure 3 : Des infrastructures pensées pour la voiture

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Photo : Bailly G. et Stanislas C.

Ce centre représente un modèle d’aménagement basé sur l’usage de la voiture et la consommation d’espace. Son projet d’extension ne correspond plus au modèle actuel de la ville dense et durable.

5Ce conflit juridique oppose ainsi une multinationale qui compte plus de 400 magasins dans le monde à une société locale mobilisée pour l’occasion. La puissance financière d’Ikéa lui a permis d’acheter massivement des terrains, ce qui l’autorise aujourd’hui à prétendre être un acteur local de l’aménagement urbain. Deux visions de l’avenir s’affrontent au travers de cet exemple : celle d’un modèle où les centres commerciaux périphériques continuent de s’étendre et d’attirer des populations, et celle d’un modèle où ces centres n’ont plus de raison d’être car ils apportent plus d’inconvénients que d’avantages. Plusieurs autres villes françaises connaissent des conflits similaires avec le groupe Ikéa.

Pour citer ce document

Jean-Marc Fournier, 2023 : « Ikéa : de l’engouement au conflit », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 03/05/2023, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1164, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1164.

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Résumé

En 2011, un magasin Ikéa ouvre au sud de l’agglomération caennaise. Il s’agit de la première pièce d’un ensemble commercial inséré dans une vaste zone d’aménagement concerté. L’objectif est d’urbaniser des terrains situés entre les communes de Caen, Ifs et Fleury-sur-Orne. Mais dès 2014, certains élus et commerçants s’opposent à ce projet, aujourd’hui toujours bloqué pour des raisons juridiques, économiques et politiques. Comment un projet présenté comme une opportunité unique de développement pour l’agglomération est-il devenu si controversé et conflictuel ?

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