Atlas Social de Caen

De l'agglomération à la métropole ?

La Reconstruction : inventer la ville du 20è siècle

par Patrice Gourbin

planche publiée le 29 septembre 2020

La Reconstruction de Caen, comme partout en France, suivait deux objectifs. Le premier, le plus visible et le plus immédiat, visait à la réparation des destructions. Le second était la modernisation de l’habitat et de la ville, voulue par les pouvoirs publics depuis le début du siècle. La réparation des dommages de guerre fut donc le point de départ d’une véritable mutation urbaine.

1Imposé par l’État à la suite des destructions de 1944, le plan de reconstruction et d’aménagement de Caen élaboré par l’architecte-urbaniste Marc Brillaud de Laujardière fut validé en 1947. Ce plan définissait la voirie, les zones d’activités et donnait quelques règles architecturales. La Reconstruction commença à la fin de l’année 1948 et s’acheva officiellement en 1963. Toutefois, le gros des chantiers peut être considéré comme achevé dès le milieu des années 1950. La Reconstruction n’a pas été exempte de conflits et de tensions, mais à Caen comme ailleurs, l’idée qu’il fallait profiter des destructions pour moderniser l’ensemble urbain faisait consensus.

Transformer la ville

2En matière de voirie, la principale modification concerne la déviation le long de la Prairie de la RN 13 joignant Paris à Cherbourg, ceci afin d’éviter le centre-ville. Sur les terrains ainsi viabilisés, on installe les nouveaux équipements collectifs : piscine, patinoire, centre de congrès, foire exposition, lycée et centre culturel.

3Le centre reconstruit comprend aujourd’hui deux zones contrastées. Dans la première, le long de la rue Saint-Pierre, les destructions ont été ponctuelles. On s’est contenté de colmater les dégâts et l’organisation générale n’a pas été modifiée. Au contraire, la zone la plus détruite, qui correspond au quartier Saint-Jean, a été totalement reconfigurée. Le plan a été entièrement redessiné sous forme d’îlots orthogonaux en s’appuyant sur quelques éléments emblématiques demeurés intacts : monument aux morts, canal, château et églises. Une nouvelle avenue du Six-Juin, doublant la rue Saint-Jean, a été tracée afin de magnifier les monuments anciens : château, églises Saint-Jean et Saint-Pierre. Le dégagement du château constitue l’un des principaux points de la nouvelle esthétique urbaine. Placé dans l’axe de l’avenue du Six-Juin, il devait accueillir un monument commémoratif de la bataille. De manière générale, la visibilité des monuments anciens est partout accentuée afin qu’ils structurent la composition nouvelle.

4Autre transformation d’importance pour le développement futur de la ville, l’Université est construite au nord du château, suivant une organisation en campus sans rapport avec l’ancien bâtiment. L’Université et son parc, entourés d’une zone pavillonnaire de faible densité, impulsent ainsi un développement spécifique pour cette partie de la ville.

5Les équipements publics sont presque tous déplacés et reconstruits avec une plus grande ampleur, qu’ils aient été détruits ou pas par les bombardements. La bibliothèque et le musée, autrefois regroupés, sont installés dans des bâtiments modernes, indépendants et dotés d’installations techniques de pointe. La chambre de commerce construit un bâtiment entièrement neuf. La mairie est installée dans l’abbaye aux Hommes, le lycée de garçons étant transféré dans un bâtiment neuf édifié près de la Prairie.

6Enfin, le rattachement à la ville de Caen du domaine de la Guérinière, antérieurement situé sur la commune de Cormelles-le-Royal, s’inscrit pleinement dans le processus de transformation de la reconstruction. Il s’agit de construire sur ce terrain le premier grand ensemble de logements, initialement prévu pour 2 500 habitants. Construit dans un secteur périphérique non touché par les bombardements, ce grand ensemble propose une offre de logements complémentaire à celle du centre-ville, principalement destinée aux propriétaires sinistrés.

Une architecture du compromis

7En matière d’architecture, l’État qui conduit l’ensemble du processus, aspire à être exemplaire. Il construit directement un certain nombre d’ensembles, considérés comme autant de vitrines de sa doctrine architecturale : rue du Gaillon, ensemble Reine Mathilde en face de l’abbaye aux Dames, ensemble des Jacobins, Saint-Jean-sud au bas de la rue Saint-Jean, tours marines, quartier des Quatrans.

Figure 1 : Le quartier des Quatrans, la modernité au cœur de la ville

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Dessin : auteur inconnu, dessin publié dans la revue Technique et architecture, n. 7-8, 1953-1954.

Le quartier des Quatrans comprend cinq îlots confiés à l’architecte Henri Delacroix. Il accueille environ 2 000 habitants et rompt avec l’organisation urbaine habituelle : les rues et les parcelles disparaissent au profit d’un espace ouvert, réalisant ainsi le rêve d’une ville perméable et collective qui alterne espaces verts et places minérales.

8Développant des formes architecturales contrastées, tantôt dans un esprit traditionnel (toits en pentes, ouvertures verticales), tantôt en suivant les canons de la modernité (préfabrication, toits plats), l’ensemble reconstruit témoigne des recherches de l’époque en matière de confort urbain et d’expression architecturale. Les architectes voulaient à la fois faire le lien avec le passé, utilisant les matériaux locaux et certaines formes rassurantes, et inventer une ville claire, aérée, lisible, perméable, conforme aux aspirations modernes. L’enjeu actuel de la Reconstruction, qui a longtemps souffert du désintérêt des Caennais, concerne sa remise à niveau fonctionnelle et sa reconnaissance en tant que patrimoine.

Figure 2 : Les compromis de la Reconstruction : l'ensemble Reine Mathilde

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Photo : P. Gourbin

Avec ses toits d’ardoise, ses murs en pierre de taille et son organisation à l’alignement des rues, cet ensemble construit par l’architecte en chef Marc Brillaud de Laujardière fait référence à l’architecture ancienne. L’innovation est pourtant présente dans le cœur d’îlot, entièrement ouvert, à l’air et à la lumière.

Pour citer ce document

Patrice Gourbin, 2020 : « La Reconstruction : inventer la ville du 20è siècle », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 29/09/2020, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=428, DOI : en attente.

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Bibliographie

Bertaux J.-J. , Renaissance d’une ville. La reconstruction de Caen, 1944-1963, Paris, ed. Delpha, 1994, 106 p.

Bouillot C. (dir.), La reconstruction en Normandie et en Basse-Saxe après la seconde guerre mondiale. Histoire, mémoires et patrimoines de deux régions européennes, Rouen, PURH, 2013, 510 p. http://insitu.revues.org/10864

Gourbin P. , La reconstruction de l’université de Caen. À l’origine du campus français, In Situ [En ligne], n. 17, 2011, mis en ligne l e 19 décembre 2013. URL :

Gourbin P., Le patrimoine de Caen à l’épreuve de la seconde guerre mondiale et de la reconstruction, Caen, ed. Société des Antiquaires de Normandie, 2016, 316 p.

Gourbin P., L’architecture et l’urbanisme de la reconstruction dans le Calvados. Du projet à la réalisation, Caen, ed. CAUE du Calvados, 2011, 151 p.

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Patrice Gourbin

Université de Caen Normandie, École nationale supérieure d'architecture de Normandie (ENSA)

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Résumé

La Reconstruction de Caen, comme partout en France, suivait deux objectifs. Le premier, le plus visible et le plus immédiat, visait à la réparation des destructions. Le second était la modernisation de l’habitat et de la ville, voulue par les pouvoirs publics depuis le début du siècle. La réparation des dommages de guerre fut donc le point de départ d’une véritable mutation urbaine.

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