Atlas Social de Caen

De l'agglomération à la métropole ?

Les squats d’exilés à Caen : problème global, réponse locale

par Renaud Lariagon et Métilde Havard

planche publiée le 17 juin 2022

L’augmentation du nombre de réfugiés en France depuis la guerre en Syrie, puis le démantèlement de la Jungle de Calais (2009-2016), a reconfiguré les routes migratoires. C’est ainsi qu’un nombre croissant d’exilés est arrivé à Caen et que le port de Ouistreham est devenu, pour eux, un point de passage vers l’Angleterre. En moins de dix ans, près de quarante squats ont été ouverts dans l’agglomération de Caen pour accueillir ces migrants, une situation qui interpelle et mérite d’être décryptée.

Des hébergements précaires pour des personnes vulnérables

1En 2013, l’Assemblée générale de lutte contre toutes les expulsions se constitue, car elle constate que de nombreuses personnes, dont beaucoup de réfugiés, sont à la rue. Elle défend alors la réquisition de logements vides, puis ouvre des squats selon des méthodes héritées de groupes libertaires locaux (la Mauvaise Herbe, le Pavillon Noir). Début 2021, on comptait au moins 37 squats ouverts par ce collectif.

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Carte et graphique : Lariagon R., Havard M., Pauchard L., Mellet C.

Nombre d’habitants dans les squats

Les squats ouverts par l’Assemblée générale de lutte contre toutes les expulsions ont été numérotés de 1 à 37 afin de les repérer, à la fois, sur la carte et sur le graphique ci-dessous. Tous les types de propriété et de construction sont concernés. C’est le relatif abandon qui est le facteur déterminant pour réquisitionner un local et en faire un squat d’habitation.

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Graphique : Lariagon R., Havard M., Mellet C.

Nombre d’habitants et durée d’occupation dans 37 squats

Le nombre d’habitants indiqué pour chaque squat (représenté par un rectangle) correspond aux périodes de stabilité des lieux. Ce sont des « fourchettes hautes » qui témoignent d’une certaine surpopulation des squats, souvent la cause d’accidents domestiques et de tensions internes. En revanche, lors des moments risqués d’ouverture et d’expulsion, le nombre d’habitants est plus réduit, notamment par peur de la répression policière.

2La vie dans les squats relève d’une extrême précarité, d’autant plus que de nombreux exilés ne parlent pas français. Y habitent des populations aux profils divers, tant dans leurs situations familiales (jeunes hommes célibataires, femmes seules et avec enfants, familles entières) que dans leurs trajectoires migratoires. Fuyant la guerre et la pauvreté, ces personnes viennent d’Europe de l’Est, d’Afrique subsaharienne ou d’Asie. Les profils des exilés varient en fonction des crises et conflits dans le monde. Par exemple, entre 2014 et 2015, des hommes originaires d’Iran et de Syrie cherchent à rejoindre l’Angleterre, via Ouistreham. Par la suite, ce sont surtout des Soudanais.

3Le traitement administratif des exilés fait l’objet de polémiques. En 2016, la Préfecture du Calvados a rappelé qu’elle n’avait pas vocation à prendre en charge les « migrants économiques », justifiant le rejet systématique des demandes d’asile des Soudanais. Pourtant, militants et associations estiment qu’ils sont légitimes à faire ces demandes, puisque des rapports d’organisations non-gouvernementales, comme Amnesty International (2019), ont alerté sur le conflit au Darfour. Les personnes rapatriées de force courent le risque d’être condamnées à mort dans leur pays. Si beaucoup d’exilés engagent des démarches pour régulariser leurs situations, les demandes d’asile sont régulièrement refusées, donnant lieu à des notifications d’obligation à quitter le territoire français, renforçant encore leur vulnérabilité.

Une situation toujours tendue

4L’ouverture de squats répond à une urgence sociale, mais vise aussi à manifester une opposition aux politiques urbaines. L’Assemblée générale de lutte contre toutes les expulsions estime qu’environ 6 000 logements sont vacants à Caen et dénonce la spéculation immobilière. Les squats sont expulsés au nom du droit de propriété. Le droit au logement, qui lui est souvent opposé, est rarement respecté, même s'il permet occasionnellement d’obtenir des délais avant l’expulsion. Enfin, si des mobilisations sociales s’opposent aux expulsions, la durée d’occupation dépend surtout du type de propriété et des procédures engagées par les propriétaires et les pouvoirs publics.

5Le squat du Marais est un cas particulier relativement médiatisé. En mai 2018, cinq bâtiments répartis sur 32 000 m2 sont occupés. Enedis, gestionnaire du réseau public d'électricité, en est le propriétaire. Il porte plainte, mais le jugement autorise une occupation pour une durée d’un an, car les conditions d’accueil sont réunies et qu’aucun projet n’est en cours sur la parcelle. Le squat devient alors l’habitation de plus de 250 exilés, dont 80 enfants scolarisés. Parallèlement, militants libertaires, syndicalistes, gilets jaunes et membres de collectifs de soutien aux exilés investissent ce lieu comme espace d’organisation politique. Son occupation dure dix-sept mois, ce qui en a fait l’un des plus grands squats de France.

Entrée du squat du Marais, depuis la rue du Marais, peu de temps après son ouverture

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Photographie : Delorme P-A., avril 2018

Le graffiti emblématique situé à côté de l’entrée du Bâtiment A, depuis la cour du Squat du Marais

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Photographie : Delorme P-A., juillet 2018

6La préfecture a ensuite entrepris un plan de « démantèlement des squats » qui a réellement débuté en octobre 2019 avec l’expulsion du Marais. Depuis, près d’une quinzaine de squats ont fait l’objet d’une expulsion. Affaiblie, l’Assemblée générale de lutte contre toutes les expulsions s’est néanmoins adaptée aux difficultés. Elle a occupé des maisons vouées à la destruction dans les communes périphériques de Cagny et Colombelles.

7Finalement, il reste difficile de savoir si le nombre d’exilés a baissé ou non dans l’agglomération, puisque certaines personnes ont ouvert des squats par leurs propres moyens, et que d’autres ont été placées dans des hôtels par la Préfecture. Paradoxalement, le futur de structures d’accueil d’urgence (Vanier et la Charité), adaptées et moins coûteuses, est toujours incertain faute de budget public, comme le dénonce l’intersyndicale (CGT, Sud, CFDT) depuis 2018.

Pour citer ce document

Renaud Lariagon et Métilde Havard, 2022 : « Les squats d’exilés à Caen : problème global, réponse locale », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 17/06/2022, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1115, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1115.

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Bibliographie

Amnesty International, 2019, Expulsion dangereuse vers le Soudan, consulté en ligne le 02/03/2022, https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/expulsions-dangereuses-vers-le-soudan

Prefecture du Calvados ,2016, Accueil de migrants en Normandie, actualisation 3 novembre 2016, consulté en ligne le 02/03/2022, http://www.prefectures-regions.gouv.fr/normandie/Grands-dossiers/Accueil-de-migrants-en-Normandie

Wihtol de Wenden C., 2016, Migrations. Une nouvelle donne, Paris, Maison des Sciences de l'Homme, coll. « Interventions », 182 p.

Cezard Q.,Taquard R. et Gathy T., 2020, Les enfants du Marais, documentaire, 61 min, Keren Production, http://www.keren-production.fr/films/les-enfants-du-marais/

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Chercheur postdoctorant, Université d'Angers, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Résumé

L’augmentation du nombre de réfugiés en France depuis la guerre en Syrie, puis le démantèlement de la Jungle de Calais (2009-2016), a reconfiguré les routes migratoires. C’est ainsi qu’un nombre croissant d’exilés est arrivé à Caen et que le port de Ouistreham est devenu, pour eux, un point de passage vers l’Angleterre. En moins de dix ans, près de quarante squats ont été ouverts dans l’agglomération de Caen pour accueillir ces migrants, une situation qui interpelle et mérite d’être décryptée.

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