Atlas Social de Caen

De l'agglomération à la métropole ?

Le développement des logements Airbnb : quels enjeux pour le territoire ?

par Axel Lecoq, Jean-Marc Fournier et Ugo Legentil

planche publiée le 07 novembre 2025

Depuis 2023, 23 communes de Caen la Mer sont officiellement classées en zone immobilière tendue : un signe du déséquilibre important entre l'offre et la demande de logements. La crise du logement qui existe en France est bien présente dans l’agglomération caennaise. En parallèle à cette évolution, on constate une progression des logements appelés meublés de tourisme. Ce nouveau type de logement répond à une demande et stimule tout un système économique qui représente un chiffre d’affaires de 29 millions d’euros (locations de courte durée) et près de 4 110 logements classés meublés touristiques pour Caen la Mer en 2025. Peut-on affirmer qu’il constitue un facteur de développement et d’attractivité du territoire ? Dans la mesure où cette évolution tend à réduire les possibilités de logements pour des résidents permanents, ne peuvent-ils pas également alimenter la ségrégation, voire l’exclusion sociale ?

Une offre en Airbnb qui se densifie et se professionnalise

1Les meublés de tourisme sont des logements proposés à la location à une clientèle, souvent de passage, qui effectue un séjour de court terme. En France, on estime leur nombre à 1,2 million. Dans le Département du Calvados, on dénombre 23 000 meublés de tourisme (année 2024), selon la base de données Liwango qui prend en compte les plateformes Airbnb et Abritel, mais qui exclut la plateforme Booking. En cinq ans, le nombre de locations de courte durée a presque doublé à Caen la Mer. Cette étude est le résultat d’un mémoire de recherche de Master 1 en géographie et aménagement des territoires réalisé par Axel Lecoq.

Figure 1 : Meublés de tourisme et résidences secondaires dans le Calvados

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Crédits : Lecoq A.

Cette carte montre la concentration des meublés de tourisme : se détachent l’agglomération caennaise, l’ensemble du littoral, avec quelques communes particulièrement prisées (Côte de Nacre, Côte Fleurie, Côte de Grâce), mais aussi la Suisse normande.

2Le taux d’occupation de ces logements, qui avait tendance à augmenter jusqu’en 2022, subit désormais une baisse du fait de la densification du nombre de logements disponibles. Si plus des trois-quarts des offres sont proposées par des particuliers, on constate une nette tendance à la professionnalisation du secteur. De plus, les logements entiers représentent 90 % des annonces contre 10 % pour les chambres privées, tandis que plus de la moitié des meublés comprennent quatre à six lits.

Figure 2 : Les communes en zone immobilière tendue : un indicateur local de la crise du logement

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Crédits : Fournier J-M., Legentil U.

Caen et la plupart de ses communes voisines sont classées en zone immobilière tendue. Dans ces communes, des règles spécifiques s’appliquent, et notamment l’encadrement de l’évolution des loyers dont le but est de limiter les hausses de loyer entre deux locations. Les loyers ne sont donc plus fixés totalement librement. Cette régulation permet d’éviter une augmentation des loyers trop importante dans des lieux où les logements disponibles deviennent rares. Les meublés de tourisme ne sont pas concernés par cette mesure.

Un système économique à part entière

3En 2024, le prix médian des logements loués dans le Calvados est de 99 €/nuitée, contre 72€ pour Caen la Mer (base de données Liwango). Cette différence s’explique par l’existence de logements sur le littoral, proches de la mer, qui sont très convoités pendant les vacances d’été, avec des prix élevés. Par exemple, on dénombre 595 logements à Ouistreham ou encore 184 à Lion-sur-Mer. Par ailleurs, la location d’une maison coûte logiquement plus cher (128 €/nuit) qu’un appartement (85 €/nuit). Au total, pour une année, un logement loué dans son entièreté rapporte en moyenne 9 100€ mais ce chiffre diminue à 6 370€ pour Caen la Mer. Cet écart est dû au fait que certains logements sont loués pour des raisons diverses, non touristiques : déplacement professionnel, visite familiale, formation, stage, logement transitoire, etc., et pour des logements plus standards. Il convient d’ajouter que certaines personnes louent des chambres seules qui rapportent en moyenne entre 3 800 €/an à l’échelle du Calvados contre 2 900 €/an pour Caen la Mer. L’année 2023 a enregistré le chiffre d’affaires le plus important avec 184 millions d’euros pour le Département, ce qui atteste de l’importance de ce marché.

Figure 3 : Chiffres d’affaires et offres de meublés touristiques en 2024

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Crédits : Fournier J-M., Legentil U.

La commune de Caen concentre le plus de meublés de tourisme du Département avec plus de 1 900 logements en 2024 pour plus de 153 000 nuits réservées et 12,9 millions d’euros de chiffre d’affaires. On mesure également 499 000 nuitées, ce dernier chiffre représentant le nombre total de nuits passées par les clients dans l’ensemble des logements. Les communes limitrophes connaissent un engouement beaucoup plus limité, avec nettement moins de biens proposés : 157 à Hérouville-Saint-Clair, 68 à Ifs, 29 à Mathieu ou encore 25 à Saint-Contest et 24 à Rots.

Une diversité de propriétaires

4A partir d’une enquête comprenant 200 questionnaires (2024), plusieurs profils d’hôtes ressortent. Pour presque deux tiers des répondants, le logement est loué à l’année. Il s’agit, pour les deux tiers des hôtes, de leur résidence secondaire et, pour le tiers restant, de leur résidence principale. Le bien est le plus souvent situé à proximité du lieu de travail, voire du lieu de vacances sur le littoral. Les propriétaires de logements en bord de mer ont davantage tendance à résider hors de Normandie. Par ailleurs, seuls 10 % des hôtes déclarent en faire leur activité principale. La location de courte durée vise à créer un complément de revenu (pour des vacances, des travaux à financer, etc.) ou à alléger des coûts liés au logement (remboursement de crédit, charges, taxes, etc.). Pour d’autres personnes, le meublé de tourisme est avant tout un investissement financier, un patrimoine, les revenus locatifs servant spécifiquement à rembourser le prêt immobilier. Elles choisissent leurs meublés dans des zones stratégiques, où la rentabilité est jugée élevée comme les centres urbains, les lieux touristiques et les littoraux. Les meublés de tourisme, dans ce cas-là, sont parfois gérés par des conciergeries, notamment quand le propriétaire n’habite pas à proximité. On compte ainsi huit conciergeries à Caen identifiées dans l’étude. Elles peuvent exercer plusieurs fonctions depuis la gestion des annonces sur les plateformes, du calendrier de réservation, de l'accueil des locataires, de la prestation de ménage, etc., jusqu'à l'entretien général du bien.

5Dans d’autres cas encore, le choix d’une location correspond à un bien vacant, hérité, dans le cadre d’une succession, ou encore lorsqu’un propriétaire a acheté un bien pour ses enfants qui vont faire des études plus tard (et éventuellement utiliser le logement), ou qui ont terminé leurs études, et qui ne l’occupent plus. Par ailleurs, des formes mixtes de location existent, spécifiquement à Caen, avec des logements loués aux étudiants en période universitaire, de septembre à mai, puis en meublés de tourisme entre juin et août. Il faut ajouter que 80 % des répondants à l’enquête ont réalisé des travaux de rénovation et décoration afin de valoriser leur bien.

6Une autre catégorie de personnes concerne celles qui louent leur résidence principale pendant leur absence, lors d’un week-end ou pendant les vacances. D’autres propriétaires encore louent une partie de leur résidence principale. Il peut s’agir d’un bâtiment annexe, d’un étage avec une entrée séparée, d’un studio qui fait partie de la maison ou de tout type de dépendance. Dans tous ces cas, les raisons peuvent être diverses : recherche d’un revenu supplémentaire, économies pour la retraite ou en cas de chômage, aide pour les études des enfants, projet de voyage ou pour faire des travaux.

Figure 4 : Origine géographique des voyageurs

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Crédits : Lecoq A., Fournier J-F., Legentil U.

L’analyse des 22 500 avis laissés sur Airbnb concernant les meublés de tourisme de Caen la Mer forme une base de données intéressante pour dessiner les grandes tendances des origines des locataires. On apprend ainsi qu’un tiers des personnes vient de l’Ile de France. La clientèle internationale est représentée à hauteur de 23 % des avis. Elle est composée de personnes pour la plupart en provenance du Royaume-Uni (16 %), des États-Unis (14 %) et d’Allemagne (10 %). De son côté, la clientèle de Normandie représente 20 % des avis.

Figure 5 : Les logements proposés à la location par Airbnb et Abritel

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Crédits : Lecoq A.

L’offre de logements est d’abord concentrée sur l’espace piétonnier (hypercentre), puis autour des deux abbayes, à proximité du port et dans la partie reconstruite de Caen. On peut supposer qu’une partie des logements de la Folie-Couvrechef s’explique par la présence du Mémorial, tout comme une partie des logements de la rive droite est liée à la proximité de la gare SNCF. Les logements situés à Venoix sont plus difficiles à analyser, même si le stade de football Michel d’Ornano peut générer une certaine demande. Enfin, des logements sont dispersés sur l’ensemble de la commune, y compris dans les quartiers sociaux, ce qui souligne la grande diversité de cette offre.

7L’apparition et la multiplication des logements meublés liés à des plateformes numériques mondiales, appartenant à des particuliers, correspond à de nouvelles pratiques d’hébergement. Cette évolution est-elle finalement plutôt favorable au développement et à la dynamique d’attractivité de l’agglomération caennaise ou est-elle plutôt défavorable à la ville étant donné la crise du logement et l’obligation, pour de nombreux habitants, d’habiter loin de leur lieu de travail ou d’études ? L’engouement pour ce système correspond d’abord à un besoin de flexibilité : la possibilité de se loger, pour des durées très variables, dans des lieux où l’offre est saturée ou avec un budget réduit. Ce système offre aussi des avantages pour des territoires dépourvus de tout autre moyen d’hébergement et en dehors des motifs touristiques. Par exemple, les 150 logements disponibles à Hérouville-Saint-Clair ne correspondent pas tous à des besoins liés aux vacances, mais aussi à des besoins familiaux ou professionnels. Par ailleurs, la dynamique des meublés touristiques induit une demande pour le secteur du bâtiment, de la rénovation énergétique, de l’entretien du patrimoine bâti.

8Certains propriétaires ont bien compris la dimension lucrative des meublés, préférant louer pour des périodes courtes en gardant de la flexibilité. Dans ce cas, l’essor de ce système se fait au détriment des locataires pérennes car il contribue à tendre encore le marché immobilier. En ce sens, le problème de fond n’est pas de celui, en soi, de la location de meublés, mais celui du manque global de logements et de la compétition entre catégories de locataires. Ajoutons que ce système peut aussi connaître des difficultés : certains logements sont peu loués et donc peu rentables, voire en dessous du seuil de rentabilité, lorsqu’ils ne sont pas bien situés ou qu’ils offrent peu d’équipements. Enfin, plusieurs initiatives législatives récentes devraient à l’avenir limiter les pratiques échappant au contrôle fiscal et communal, avec l’obligation de déclarer les locations, la possibilité pour les maires d’instaurer des quotas d’autorisations de meublés, de limiter la durée annuelle de location des résidences principales, d’obliger à réaliser un diagnostic énergétique, etc. Le débat n’est donc pas tranché dans un contexte de crise du logement en France, paradoxalement l’un des pays au monde qui possède le plus de résidences secondaires.

Pour citer ce document

Axel Lecoq, Jean-Marc Fournier et Ugo Legentil, 2025 : « Le développement des logements Airbnb : quels enjeux pour le territoire ? », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 08/11/2025, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1334, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1334.

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Bibliographie

Calvados Attractivité, 2024, Observatoire de l’attractivité touristique et résidentielle du calvados en 2023, https://www.calameo.com/read/002059428862e708aa339?view=book

Fadel Y., 2022, « L’offre Airbnb à Angers ». In H. Davodeau, L. Guillemot, S. Giffon, Atlas Social d'Angers, eISSN : 2968-0255, mis à jour le : 08/12/2022, DOI : 10.48649/asda.989

Lecoq A., 2024, Comment les territoires de Caen la Mer et de la Cœur Côte Fleurie appréhendent la gestion des meublés de tourisme ? Étude comparative de deux territoires, Mémoire de recherche du Master 1 de Géographie Aménagement, Environnement et Développement sous la direction de Jean-Marc Fournier, ESO Espaces et Sociétés, Université de Caen Normandie, 258 p.

Index géographique

Axel Lecoq

Étudiant en Master de géographie, UFR Sciences Economiques, Gestion, Géographie et Aménagement des Territoires (SEGGAT), Université de Caen Normandie

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Résumé

Depuis 2023, 23 communes de Caen la Mer sont officiellement classées en zone immobilière tendue : un signe du déséquilibre important entre l'offre et la demande de logements. La crise du logement qui existe en France est bien présente dans l’agglomération caennaise. En parallèle à cette évolution, on constate une progression des logements appelés meublés de tourisme. Ce nouveau type de logement répond à une demande et stimule tout un système économique qui représente un chiffre d’affaires de 29 millions d’euros (locations de courte durée) et près de 4 110 logements classés meublés touristiques pour Caen la Mer en 2025. Peut-on affirmer qu’il constitue un facteur de développement et d’attractivité du territoire ? Dans la mesure où cette évolution tend à réduire les possibilités de logements pour des résidents permanents, ne peuvent-ils pas également alimenter la ségrégation, voire l’exclusion sociale ?

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