Table des matières
Forte de ses 36 000 étudiants, Caen est régulièrement classée parmi les meilleures villes étudiantes de France pour son cadre de vie. Quelles représentations de la ville de Caen les étudiants ont-ils ? De 2017 à 2022, nous avons collecté un échantillon de 1 800 cartes mentales où sont cités 600 lieux différents. La plupart des étudiants sont de l’Université de Caen, surtout du campus 1.
Carte mentale ?
La carte mentale désigne une représentation de la ville sur un plan : le chercheur demande à la personne enquêtée de dessiner, sous forme d’une carte, la façon dont elle perçoit la ville. Chaque étudiant a pu laisser libre cours à sa mémoire et à ses affinités pour dessiner sa représentation de la ville de Caen. La carte renvoie à la fois aux pratiques mais aussi aux représentations individuelles et collectives qui déterminent la relation symbolique et affective avec la ville. Selon Françoise Péron « La carte mentale permet de mettre en exergue des subjectivités collectives, de présenter une synthèse spatiale pour mettre en évidence des systèmes spatiaux ». Pour Basile Michel, elle « analyse des éléments collectivement partagés par un groupe social en termes de représentations spatiales » et permet, selon Anne Tricot, de « spatialiser l’expérience vécue et sensible d’individus ». Les caractéristiques des étudiants tel que le genre, l’âge, le nombre d’années passées à Caen ou la filière ont été renseignées.
Le centre-ville, le château et le campus 1 comme lieux emblématiques pour l’ensemble des étudiantes et étudiants
Figure 1 : Différents types de cartes mentales produites par les étudiantes et étudiants
Crédits : François N., Gomez R., Haslay L., Maaza S., Ndiaye C-M., Ozouf B.
1Les étudiants représentent majoritairement le centre-ville de Caen. Le campus 1 et le Château ressortent comme les lieux emblématiques, présents dans plus de 80 % des cartes. Les lieux les plus cités regroupent les principales fonctions de la ville : les monuments (château, églises), la formation (les campus), les lieux festifs (port, rue Ecuyère) et récréatifs (hippodrome, Prairie, fleuve Orne), les transports (la gare tout particulièrement, le tram, le périphérique), les lieux de consommation (centre-ville, les Rives de l’Orne). Le centre-ville est régulièrement envisagé comme une entité spatiale à part entière par les étudiants, montrant l’importance fonctionnelle et symbolique de cet espace hyper-central.
Figure 2 : Un centre de gravité des différents lieux représentés localisé au nord du centre-ville de Caen
Crédits : Legentil U.
Chaque cercle correspond à un lieu représenté par les étudiants. La taille du cercle correspond au nombre d’occurrences des lieux. La couleur correspond au type de lieu représenté.
Des différences de représentations avant et après le COVID-19
2Si l’on s’intéresse aux lieux représentés sur les deux périodes 2017-2019 et 2021-2022, on peut noter des différences significatives expliquées en partie par l’effet COVID. Après la pandémie, les lieux de nature sont davantage représentés (+ 13 %) de même que les lieux de santé (+ 5 %). Le fleuve Orne, la Prairie, le Jardin des plantes, la Colline aux oiseaux, la Vallée des jardins de même que les plages sont davantage identifiés sur les cartes des étudiants après la phase COVID. On retrouve également plus de représentations du CHU et du CHR. À l’inverse, certains types de lieux sont moins représentés dans les années qui suivent la pandémie parce que la perception de l’espace s’en trouve modifiée. C’est le cas des lieux festifs comme les bars qui, après la période COVID, sont significativement moins représentés de façon individuelle. Ils sont davantage dessinés à l’échelle d’un espace d’ensemble comme le Port ou la rue Ecuyère. Certains lieux de consommation sont également moins cités (quartier du Vaugueux, Fnac, Parc des expositions, Carrefour, salle de spectacle Le Cargö) ainsi que certains services publics et administrations (Tribunal, Préfecture, La Poste). Les références à l’intime sont plus présentes après la pandémie : « chez moi », « chez des amis » ou les communes où habitent la famille. On retrouve alors des communes périurbaines, du bord de mer, du département de l’Orne, etc. Ce sont les endroits où certains étudiants ont passé leurs confinements. Ainsi, la restriction des pratiques de l’espace urbain durant la pandémie a largement affecté la représentation de la ville (- 7 % de lieux cités après-COVID). Il serait intéressant de voir si ces effets s’estompent ou si de nouveaux lieux émergent dans une durée plus longue, liés plutôt aux transformations des fonctions et des usages urbains.
Une géographie différenciée selon l’âge, le sexe et le temps passé à Caen
Crédits : Legentil U.
3La pratique et les représentations de l’espace urbain sont généralement genrés ; ils reflètent en cela les rôles sociaux et les espaces vécus fortement influencés par la société selon le genre. Mais ils sont aussi liés à l’âge qui détermine en partie les pratiques de l’espace. Enfin, le temps passé à Caen affecte les représentations et l’appropriation de la ville.
4Les lieux de sport, de nature, les quartiers périphériques et les communes extérieures à Caen sont plus représentés par les hommes (Prairie, fleuve Orne, Stade d’Ornano, Mondeville, Chemin Vert). À l'inverse, les rues et les lieux de consommation sont plus cités par les femmes (Rives de l’Orne, Vaugueux, Restaurant universitaire, Rue Saint-Pierre, Place de la Mare). Les lieux de formation, de culture, sont sur-représentés par les étudiants de moins de 20 ans alors qu'ils sont sous-représentés par les plus de 23 ans. La tendance est similaire pour les « jeunes » étudiants qui citent davantage de lieux festifs que de leurs aînés. À l'inverse, les communes extérieures et les lieux de « nature » sont plus représentés par les étudiants plus âgés. Les étudiants vivant à Caen depuis plus de 10 ans représentent plus souvent les monuments et ils citent davantage les communes périphériques. En parallèle, les étudiants qui sont présents à Caen depuis six mois ou un an font plutôt référence aux lieux de formation et aux transports, c’est-à-dire les premiers lieux fréquentés, ce qui reflète une pratique encore restreinte de la ville.
Les variables qui pèsent dans les représentations géographiques
5Nous avons analysé les 60 premiers lieux cités par les étudiants à travers deux traitements statistiques : une Analyse par Composante Principale (ACP) et une Classification Ascendante Hiérarchique (CAH). Plusieurs variables sont analysées en même temps : le genre, l’âge, le temps passé à Caen et l’avant et après COVID. Cela nous permet de distinguer différents profils d’étudiants qui représentent leur espace vécu.
Figure 4 : Des profils différenciés de représentations de l’espace vécu.
Crédits : Legentil U.
Le profil n° 1 (en vert) concerne des jeunes femmes nouvelles à Caen et après la pandémie de COVID. Elles représentent de façon plus significative des lieux du confinement comme « chez moi », chez les « amis » ou encore les lieux de sorties comme le Jardin des plantes et la Colline aux Oiseaux. Les jeunes étudiantes ont tendance à davantage représenter les campus ou même le restaurant universitaire. Le second profil, en bleu, concerne des hommes ayant une expérience de plusieurs années à Caen. Ils représentent, après le COVID, des lieux festifs comme le Port et la Tour Leroy. Ils citent des lieux périphériques comme Hérouville-Saint-Clair, Ifs ou la Cité Universitaire Lébisey. On fait le même constat pour les étudiants les plus âgés du profil n° 3 (en violet). Ces derniers dessinent les quartiers du Chemin Vert, de la Grâce-de-Dieu ou du Calvaire Saint-Pierre. Avant le COVID, les femmes représentaient plutôt les lieux de culture comme le théâtre ou le Parc des expositions ainsi que des lieux de consommation comme le Vaugueux ou la rue Saint-Pierre (profil n° 4 en rouge). Enfin, le cinquième profil correspond aux plus jeunes installés (moins de 6 mois, 17 à 18 ans) qui représentent des lieux de consommation comme le cinéma Pathé, Mc Donald ou Carrefour Côte-de-Nacre. Ils ont une vision moins précise de leur espace vécu et représentent plus volontiers la commune de Caen ou le centre-ville dans sa globalité et davantage de lieux inconnus.
6Cette étude des cartes mentales étudiantes met en évidence des figures spatiales collectivement partagées (campus, Château, gare, etc.). Les représentations sont polarisées autour du centre-ville et se partagent principalement autour de quelques lieux de formation, monuments, transports et lieux festifs. Ce rapport à l’espace traduit tant l’expérience vécue que les représentations. Ces dernières semblent varier en fonction des caractéristiques de genre, d’âge et de temps passé dans la ville. De plus, Caen n’est pas représentée de la même manière avant et après la période COVID. Cette large cohorte de 1 800 cartes mentales constitue un matériau pertinent et riche pour penser les aménagements urbains. Une étude de la sémantique et des manières de représenter l’espace (types de cartes) apporteront de nouvelles perspectives permettant de développer l’imagibility de la ville (« imagibilité » selon Kevin Lynch), c’est-à-dire la faculté plus ou moins grande de se repérer et de s’approprier l’espace urbain.
Pour citer ce document
Benoît Raoulx et Ugo Legentil, 2025 : « Caen vu par les étudiantes et étudiants de Caen », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 10/09/2025, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1320, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1320.
Autres planches in : Populations et groupes sociaux
Bibliographie
FELONNEAU M-L., 1994, Les étudiants et leurs territoires. La cartographie cognitive comme instrument de mesure de l'appropriation spatiale. Revue française de sociologie, 35-4. Monde étudiant et monde scolaire. pp. 533-559. DOI : 10.2307/3322183, https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1994_num_35_4_4354
LYNCH K., 1993 (1960), L’image de la cité, Dunod,Paris.
MICHEL B., « Construction de cartes mentales synthétiques : mise en avant des représentations spatiales collectivement partagées », Carnets de géographes, 11 | 2018, mis en ligne le 15 septembre 2018. DOI : 10.4000/cdg.1341
PÉRON F., 1994, "Caen, ville universitaire. Pratiques et perceptions du campus, de l’agglomération caennaise et de la région par les étudiants". In : Hérin R. (dir.), L’Université, la région, les villes en Basse-Normandie, Caen : CRESO, UCBN, pp. 91- 121.
ROWNTREE B., 1997, "Les cartes mentales, outil géographique pour la connaissance urbaine. Le cas d'Angers (Maine-et-Loire). Norois, n°176, Octobre-Décembre 1997. pp. 585-604. DOI : 10.3406/noroi.1997.6823
TRICOT A., MARQUISAR J-J., BALLAIS J-L., GADAL S. et MOISEI Z., « Des cartes mentales pour analyser la vulnérabilité au risque d’une ville de l’Arctique russe : Khamagatta », Mappemonde, 135 | 2023, mis en ligne le 07 avril 2023, consulté le 19 août 2025. DOI : 10.4000/mappemonde.8626
Mots-clefs
- étudiants
- Liste des planches associées au terme étudiants
- Le système d’enseignement supérieur et de recherche, un facteur de prospérité
- Ménages entrants et sortants de Caen la Mer : qui sont-ils ?
- Insécurité alimentaire : vulnérabilité des étudiants et inégalités entre quartiers
- Inadaptée, l’offre commerciale alimentaire pour les étudiants caennais contribue-t-elle à leur insécurité alimentaire ?
- Caen vu par les étudiantes et étudiants de Caen
- perception
- Liste des planches associées au terme perception
- La perception de la santé et du bien-être
- Les personnes marginalisées dans les espaces publics
- Caen vu par des cartes mentales géographiques d’habitants : une diversité de représentations
- Orelsan et Aurélien Cotentin, artiste et entrepreneur : empreintes, ancrages, appropriations géographiques
- Caen à travers les clips d’Orelsan
- Caen vu par les étudiantes et étudiants de Caen
- représentation
- Liste des planches associées au terme représentation
- Caen vu par des cartes mentales géographiques d’habitants : une diversité de représentations
- Orelsan et Aurélien Cotentin, artiste et entrepreneur : empreintes, ancrages, appropriations géographiques
- Caen à travers les clips d’Orelsan
- Caen vu par les étudiantes et étudiants de Caen
- espace vécu
- Liste des planches associées au terme espace vécu
- Caen vu par des cartes mentales géographiques d’habitants : une diversité de représentations
- Orelsan et Aurélien Cotentin, artiste et entrepreneur : empreintes, ancrages, appropriations géographiques
- Caen à travers les clips d’Orelsan
- Caen vu par les étudiantes et étudiants de Caen
- cartes mentales
- Liste des planches associées au terme cartes mentales
- Caen vu par les étudiantes et étudiants de Caen
Index géographique
- centre-ville
- Liste des planches associées au terme centre-ville
- Caen vu par les étudiantes et étudiants de Caen
Benoît Raoulx

Toutes les planches de l'auteur
Les derniers dépôts dans
HAL-SHS de Benoît Raoulx
Benoît RaoulxUgo Legentil

Toutes les planches de l'auteur
- Le développement des logements Airbnb : quels enjeux pour le territoire ?
- Les noms de rues à l’épreuve du genre
- Caen vu par les étudiantes et étudiants de Caen
- Caen à travers les clips d’Orelsan
- « Dans ma ville, on traîne » : l’espace vécu caennais d’Orelsan
- Orelsan et Aurélien Cotentin, artiste et entrepreneur : empreintes, ancrages, appropriations géographiques
Les derniers dépôts dans
HAL-SHS de Ugo Legentil
Ugo LegentilRésumé
Forte de ses 36 000 étudiants, Caen est régulièrement classée parmi les meilleures villes étudiantes de France pour son cadre de vie. Quelles représentations de la ville de Caen les étudiants ont-ils ? De 2017 à 2022, nous avons collecté un échantillon de 1 800 cartes mentales où sont cités 600 lieux différents. La plupart des étudiants sont de l’Université de Caen, surtout du campus 1.
Annexes (1)
Statistiques de visites

Du au

Votre fichier est en cours de création, veuillez patienter...











