Le carnaval étudiant : d’un carnaval universitaire ritualisé à un évènement culturel de masse ?
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Le carnaval étudiant de Caen existe depuis 1894 sous la forme de cavalcade étudiante. Il est interrompu en 1963 mais reprend en 1996 avec l’initiative d’étudiants en arts du spectacle. La participation s’accroît au fil des années jusqu’à rassembler 30 000 participants en 2017, devenant l’un des plus importants carnavals étudiant en France et un évènement culturel majeur de la ville. Dès 2014, le tracé du défilé est entièrement modifié et s’éloigne du centre-ville : une rupture géographique et historique qui témoigne d’un changement d’ampleur et de nature de cette manifestation.
1Lors de la reprise du carnaval en 1996, les festivités ont lieu principalement sur le campus 1 de l’Université, à proximité immédiate du centre-ville. Un défilé en ville qui forme une boucle est organisé : le « bonhomme carnaval » est présenté à la population, arpente le centre commerçant, avant d’être brûlé de retour sur le campus. La fête s’achève le soir dans les bars proches de l’Université. Ce carnaval se tient avec des moyens financiers limités et grâce à des partenaires associatifs locaux. Une première rupture est à noter en 2003 : les organisateurs choisissent de tenir la soirée au parc des expositions, en position périphérique, loin du centre-ville et de l’Université. Il s’agit d’éviter l’engorgement du centre-ville et de garantir la sécurité pour tous. Le défilé conserve cependant un tracé en boucle depuis le campus jusqu’en 2013, à l’exception des éditions alternatives de 2006 et 2009.
L’éloignement du campus et des rites symboliques
2En 2013, face à la hausse du nombre de participants, l’association Radio-Phénix, organisateur depuis 2008, passe le flambeau à la Fédération Campus Basse-Normandie (FCBN), regroupant corporations et associations étudiantes. En 2014, 23 000 carnavaliers empruntent un tracé inédit : le départ est donné depuis le campus mais le défilé s’achève au parc des expositions, sans retour symbolique au campus. L’hypercentre récréatif, le lieu festif habituel des étudiants, notamment les jeudis soir, est progressivement contourné. Certaines animations disparaissent (village carnaval, concours de déguisements, « bonhomme carnaval », etc.), tandis que des concerts voient le jour au parc des expositions. Par ailleurs, l’alcoolisation, la consommation de drogues et le nombre de blessés progressent. Les pompiers mettent en place des structures amovibles en ville pour effectuer les premiers soins. La presse annonce le décompte des personnes hospitalisées. Le visage du carnaval est modifié : la prévention comme enjeu de santé publique et la sécurité sont au centre des préoccupations. Même si le pourcentage de carnavaliers pris en charge par les services de secours pour blessures et alcoolisation est limité (1,6 % en 2018) cela représente, en chiffre absolu, plus de 300 personnes pour cette année-là.
L’État d’urgence et les nouveaux protocoles d’organisation
3En 2015, la FCBN abandonne l’organisation au profit de l’association carnaval étudiant de Caen regroupant la Mairie, la Préfecture, des bureaux d’étudiants d’écoles privées et des corporations étudiantes (Arts du spectacle, SciencesPo). Plus aucun évènement n’a lieu sur le campus et l’Université se retire de l’organisation. La proclamation de l’État d’urgence après les attentats de novembre 2015 transforme encore plus profondément cette manifestation. Le défilé a lieu dans un corridor grillagé qui ne permet plus de rallier le centre-ville. Comme partout en France lors de grands rassemblements, des barrages filtrent et régulent les flux de véhicules et de personnes.
4En 2017, la 20e édition connaît un record de fréquentation. En quelques années, le carnaval est devenu une manifestation contribuant à forger une image positive de la ville de Caen, un révélateur du dynamisme et de la jeunesse. En 2018, la 21e édition part de la place de la Mare, puis en 2019, en raison des travaux sur le tramway, le départ est donné place Saint-Martin, achevant la rupture avec le campus et l’Université. Les organisateurs travaillent de plus en plus avec des professionnels de la sécurité et de la santé. Ils cherchent à limiter les débordements, hospitalisations et interpellations policières ainsi que l’image négative qu’ils véhiculent. Rassembler aujourd’hui 30 000 personnes suppose une organisation planifiée et codifiée, très éloignée d’une pratique festive des années 1990 coordonnée par des bénévoles pour quelques milliers d’étudiants.
5À l’origine, un carnaval consiste à inverser les rôles de pouvoir et de domination, à singer et tourner en dérision des acteurs de la vie publique et à manifester des points de vue critiques et contestataires. Il a également une fonction de défoulement collectif : ce qui est interdit en temps normal peut être autorisé pendant le carnaval. Un carnaval peut ainsi être conçu comme un temps nécessaire dans une société, un retour à l’ordre ayant lieu après le carnaval. Le carnaval étudiant de Caen a-t-il gardé cet esprit d’origine ? Si les déguisements exubérants et les pratiques festives définissent bien un temps hors norme, les revendications plus politiques et la contestation des pouvoirs ne sont plus exprimées à ce moment-là.
Carte : Delorme P-A., Mellet C.
Le tracé en boucle des défilés du carnaval étudiant de 1996 à 2013
Lors des premières éditions, la soirée se déroulait dans l’enceinte du Château. Il était initialement prévu de brûler le « bonhomme carnaval » place Bouchard, au cœur de la ville, mais cela a finalement eu lieu sur le campus. Jusqu’en 2015, des activités se déploient sur le campus dès le matin : concours de déguisement, concerts, jeux, etc. Au fil des années, les lieux et l’esprit du carnaval ont été modifiés.
Carte : Delorme P-A., Mellet C.
Le tracé rectiligne des défilés du carnaval étudiant de 2014 à 2019
Le nouveau tracé et l’absence d’activités sur le campus facilitent une reprise rapide des flux (tramway, bus, etc.). Les équipes de la voirie font office de voiture-balai, assurent l’effacement des traces des festivités. Les accès de l’avenue Albert Sorel et du Boulevard Yves Guillou sont fermés et deviennent des lieux piétonniers entre le centre et le parc des expositions jusqu’à la fin des concerts.
Pour citer ce document
Pierre-Alexandre Delorme, 2022 : « Le carnaval étudiant : d’un carnaval universitaire ritualisé à un évènement culturel de masse ? », in Atlas Social de Caen [En ligne], ISSN : 2779-654X, mis à jour le : 18/03/2022, URL : https://atlas-social-de-caen.fr:443/index.php?id=1035, DOI : https://doi.org/10.48649/asdc.1035.
Autres planches in : Sports, loisirs et cultures
Bibliographie
Quellien J., Toulorge D., 2012, Histoire de l'Université de Caen 1432-2012, Caen, Presses Universitaires de Caen.
Walker E., 2019, "Quand la ville ne dort pas. S’approprier l’espace-temps hypercentral nocturne par et autour de l’usage récréatif : les exemples de Caen et Rennes. (Pour une approche aussi sonore des rapports sociaux de proximité)", Thèse de Doctorat en Géographie, Caen, Université de Caen, https://hal-normandie-univ.archives-ouvertes.fr/tel-02012499
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